Chronique

Sophia Domancich, Jean-Jacques Avenel, Simon Goubert

DAG

Sophia Domancich (p), Jean-Jacques Avenel (b), Simon Goubert (dm)

Label / Distribution : Cristal Records

Au commencement, une très courte et obsédante mélodie du piano, construite sur des accords élégiaques, ponctuées d’à peine quelques coups de batterie et déjà, la contrebasse laisse entendre sa complainte improvisée, comme un chant secret qui aurait percé la cloison de l’intime.

« Pour vous » donne d’emblée le ton et pose l’architecture du disque. On ne peut plus parler de cohésion mais véritablement de fusion des trois membres du trio ; trois grands musiciens, ayant l’habitude de jouer ensemble [1] mais toujours imprévisibles et libres. Quelques allusions complices, comme cinq notes au piano tirées du « Retour d’Emmanuel Philibert » [2], donnent l’impression que les rôles sont transposés, que Sophia Domancich devient Simon Goubert et Simon Goubert Jean-Jacques Avenel. Cette impression est aussi renforcée par une utilisation parfois non-conventionnelle de la formule du trio.

Un peu à la façon du dernier enregistrement d’Andy Emler [3], chaque instrument étend son registre traditionnel, le percussif devient mélodique, le mélodique devient rythmique et la musique se mue alors en une magnifique conversation libre (par exemple à la fin de « Pourquoi pas ? » ou de « Surface de réparation ») . Mais, et c’est sans doute la réussite du disque, ces moments un peu planants, où les conventions sont dépassées, côtoient aussi avec une cohérence totale des formes plus « classiques » du jazz moderne.

Simon Goubert et Jean-Jacques Avenel, joailliers du swing, maîtres du temps et de la pulsation pertinente, conduisent très souvent des parties endiablées où les attaques puissantes de Sophia Domancich font merveille ; « Pourquoi pas ? » de Goubert en est encore une bonne illustration de même que l’hypnotique « As Usual », reprise de Steve Lacy. Sophia Domancich, experte du jeu en tension, déploie aussi d’autres facettes de son grand talent : des compositions toujours habitées (un « Rêve de Singe » qui mérite de figurer au panthéon des standards actuels) et une parfaite synthèse de jazz et de musique classique du XXè siècle - pour preuve ces amples accords, que l’on dirait inspirés par Debussy, au milieu de « Pour vous ».

Le disque se termine dans l’allégresse d’une promenade en « Canoë », composition légère et gracieuse d’Avenel dont le style peut évoquer Abdullah Ibrahim. La contrebasse, gourmande, a un petit goût de « revenez-y » et on espère ne pas attendre trop longtemps pour y regoûter, de même qu’aux nombreuses surprises sonores qui parsèment cet enregistrement.

par Julien Lefèvre // Publié le 16 octobre 2006

[1Même si on peut noter qu’auparavant, Jean-Jacques Avenel et Simon Goubert n’ont qu’un seul disque en commun, avec le quartet de Michel Edelin.

[2Composition de Simon Goubert, couramment jouée avec son quartet