Chronique

Uri Caine Ensemble

Wagner E Venezia

Mark Feldman (vln), Joyce Hammann (vln), Erik Friedlander (cello), Drew Gress (b), Uri Caine (p), Dominic Cortese (acc)

Label / Distribution : Winter & Winter/Harmonia Mundi

Enregistré en 1996, « Primal Light » a révélé Uri Caine « au grand public » du jazz et des musiques improvisées, de par sa relecture audacieuse de l’oeuvre de Gustav Mahler. Un an plus tard, le pianiste réédite une expérience similaire avec une formation de musique de chambre - où seul le violoniste Mark Feldman est encore de l’aventure - et un compositeur à l’image un peu plus sulfureuse, Richard Wagner.

L’enchaînement des deux projets peut intriguer ; associer Wagner et Mahler conduit forcément à se remémorer le sort qui fut réservé à leurs oeuvres par les nazis (qui ont récupéré le premier pour son recours à la mythologie germanique, et rangé le second dans la catégorie de l’« art dégénéré » [1]). Mais « Wagner e Venezia » apparaît aussi comme un désir de se réapproprier le fondement de l’entreprise wagnérienne, à savoir la composition musicale, d’une telle modernité qu’elle influencera durablement les compositeurs du début du XXè, Mahler, donc, mais aussi Schoenberg, voire le mouvement dodécaphonique.

Dans cette optique, les arrangements d’Uri Caine et la configuration de l’ensemble vont dans le sens d’un retour à la partition originelle, avec une harmonie non plus boursouflée, mais presque rendue à une pureté toute schubertienne. Il va sans dire que les amateurs d’improvisation seront déçus ici, puisque tout est écrit. De même, point de réécriture dissonante et déstructurée comme le traitement klezmer-free de la 1ère symphonie de Mahler.

Le sextet interprète donc sept grands moments wagnériens avec une fidélité toute classique mais une grâce atmosphérique et quasi divine, combinée à une certaine fantaisie due à l’accordéon. On retrouve ces fameuses ouvertures subtiles et délicates qui ne perdent rien de leur mystère ou du drame futur qu’elles annoncent, « Lohengrin », Actes 1 et 3, « Tristan et Isolde » avec ses chromatismes joués par les quatre cordes qui confèrent une fragilité trés pertinente au propos. Le choc provient de l’écoute de ces teutonneries exaltées que sont l’ouverture de « Tannhauser » ou la « Chevauchée des Walkyries ». Dégraissées du mammouth orchestral qui exaltait tant Woody Allen, ces deux pièces exhibent une beauté latente et révèlent de manière indiscutable le génie wagnérien.

« Wagner e Venezia » confirme le talent d’Uri Caine, pianiste discret ici mais arrangeur remarquable, qui risque de séduire les allergiques à Wagner les plus incurables.

[1] À noter l’exposition « La musique sous le IIIè Reich », à la Cité de la Musique à Paris - jusqu’au 9 janvier 2005.