Portrait

jaimie branch : Prayer For Amerikkka

Portrait biographique de la trompettiste américaine jaimie branch


jaimie branch n’est plus ! Elle est décédée chez elle lundi soir dernier, le 22 août 2022, dans le quartier Red Hook de Brooklyn à New-York : elle avait 39 ans.

jaimie branch / Jazzdor Strasbourg. 12/11/2019 © Michel Laborde

Cette trompettiste unique en son genre a su combiner une attitude férocement punk et une technique instrumentale très avancée, ce qui lui a valu des éloges dans le milieu du jazz et bien au-delà. C’était également une figure-clé de l’International Anthem Records, fameux label basé à Chicago. Interprète charismatique, passionnée, c’était une improvisatrice brillante qui, malgré ses penchants avant-gardistes, a su rendre sa musique accessible et a gagné un large public aux États-Unis, au Royaume-Uni, et dans toute l’Europe.

Originaire de Huntington, New York, elle commence à jouer de la trompette à l’âge de neuf ans. Elle fréquente le New England Conservatory Of Music ou elle étudie avec Charles Schlueter, alors premier trompettiste du Boston Symphony Orchestra, ainsi qu’avec des improvisateurs chevronnés comme le guitariste Joe Morris et le trompettiste John McNeil. Elle cite Don Cherry, Booker Little et Miles Davis parmi ses principales influences. Étudiante au NEC, elle découvre la palette sonore expérimentale du trompettiste allemand Axel Dörner, et tombe aussitôt dans la pratique des techniques étendues à la trompette : respiration circulaire, multiphonisme, résonance spectrale, zones de son pur.

Elle habite Chicago jusqu’en 2012, où vivent certains des compositeurs-improvisateurs les plus libres d’esprit de la planète ; elle joue avec le multi-anchiste Ken Vandermark, le batteur Frank Rosaly, la flûtiste Nicole Mitchell. Elle part à Baltimore pour une maîtrise en interprétation jazz à l’Université de Towson.
En 2015, elle s’installe à New York où elle travaille avec une nouvelle génération de collaborateurs parmi lesquels le saxophoniste ténor James Brandon Lewis, le contrebassiste William Parker, le batteur Mike Pride et la guitariste Ava Mendoza.
Dans le même temps, elle conserve l’énergie de Chicago dans sa musique, comme récemment dans le duo d’improvisation ambiante appelé “Anteloper”, mettant en vedette la trompette, l’électronique, les percussions et le chant, avec Jason Nazary aux synthétiseurs et à la batterie.

jaimie branch / Jazzdor Strasbourg. 12/11/2019 © Michel Laborde

Sa très grande créativité et son engagement artistique et physique total font d’elle une étoile montante qui attire, au cours des dernières années, un grand nombre de fans dans le monde entier. Elle collectionne les éloges des critiques, notamment avec le projet “Fly or Die” qui réunit, outre jaimie branch à la trompette et au chant, Jason Ajemian à la basse, Chad Taylor à la batterie et Tomeka Reid ou Lester St. Louis au violoncelle. NPR Music a reconnu le premier album éponyme de Fly or Die comme l’un des 50 meilleurs albums de 2017. Une suite Fly or Die II : Bird Dogs of Paradise, se classe au Top 10 du sondage 2019 NPR Music Jazz Critics.

La trompette n’est pas le seul outil de son arsenal créatif : productrice et artiste électronique chevronnée, elle s’était récemment lancée tête baissée dans le chant, parlé et chanté. Elle se concentrait sur la résurgence des idéologies nativistes et racistes avec « prayer for amerikkka », un morceau de Fly or Die II ainsi intitulé parce que, comme elle l’a dit à l’époque : “ce pays s’est vraiment fondé sur le génocide et l’esclavage, alors soyons réalistes à ce sujet."

jaimie branch / Jazzdor Strasbourg. 12/11/2019 © Michel Laborde

Le 23 juin dernier, elle se produisait au festival Vision à New-York avec “C’est Trois”, un nouveau trio avec Luke Stewart à la contrebasse et Tcheser Holmes à la batterie, les musiciens du groupe “Irreversible Entanglements”. Sur le programme du festival, elle écrivait ceci pour présenter son projet en quelques lignes : “Que pouvons-nous dire ? Nous sommes trois âmes brûlantes qui convergent. Une musique antifasciste, free punk, électronique, créative, improvisée dans l’instant et qui se danse. Trois amis et collaborateurs réguliers, qui se construisent et se soutiennent mutuellement dans la musique, se poussent les uns les autres pour dérouler en temps réel dans un paysage sonore. Une bougie peut à elle seule éclairer une pièce ou incendier la maison ; notre objectif est de brûler fort. Nous éclairons les ténèbres qui nous entourent et nous plongent dans la confusion ; nous brûlons les idées préconçues. Nous rendons la beauté à la terre, avec chaleur et engagement. Parfois, un soir pas comme les autres, nous mettons le feu à la maison. Ce qui nous est nécessaire en ce moment, c’est le reflet de la lumière qui se réfracte dans le corps, le rythme, l’âme - tout à la fois, en paix, dans le temps, maintenant. Pas trop vite, pas trop lentement, mais en accord et en rythme avec l’univers. Beaucoup d’amour, j.

jaimie branch © Gérard Boisnel

Selon Nate Chinen, « Un des facteurs qui ont fait d’elle, au cours de la dernière décennie, une cheville ouvrière très estimée par la communauté musicale créative, c’ est peut-être son extrême audace. Par contraste, elle avait un comportement d’une crudité souvent hilarante, ultra-décontractée – autant de qualités auxquelles faisait allusion son surnom préféré : jaimie “breezy” branch ».

« Elle nous a apporté énormément d’idées sur la façon dont la trompette peut s’engager différemment dans la musique », a déclaré le trompettiste et compositeur Dave Douglas, fondateur de FONT Music, à NPR. « Elle avait une façon de synthétiser les voix de ses inspirations et de les amener à de nouveaux niveaux, que personne n’aurait cru possible. C’est une perte tragique pour notre communauté. »

par Guillaume Petit // Publié le 30 août 2022
P.-S. :

Merci à Nate Chinen de npr.org et à Kevin Whitlock de jazzwise.com