Chronique

Cannibales et Vahinés

William S. Tell

Marc Demereau (s, électronique), Nicolas Lafourest (g), Fabien Duscombs (dr)

Label / Distribution : Einstein on the Beach

Drôle de nom pour un groupe, Cannibales et Vahinés. Un nom venu de la colère, fauché à un ethnographe, Roger Boulay, pourfendeur de la pacotille exotique qui nous encombre le cerveau.

Drôle de titre pour un album, William S. Tell, grinçant et référentiel. Colère, toujours, sens du désastre et fuite en avant [1].

Ni concept-album ni collection de titres, William S. Tell est plutôt un « road-movie » qui vous balade, avec un mordant redoutable, de l’Ethiopie à la Suisse avant de vous embarquer pour la Hongrie, la Catalogne, la France, les Etats-Unis, le Burkina. Un parcours qui zigzague sans but apparent entre musique concrète, free jazz et rock alternatif et vous balance, à défaut de concepts, une vision de l’existence. Du moins, de ce qu’il en reste.

Vadrouille céleste où vous croiserez les pleurs d’un enfant sur fond de marché africain, un Panzer-cardinal, un lac sournois, des ambiances crispantes, un déluge de paroles, des calmes trompeurs, des cris, un larsen, une fanfare militaire, l’écho d’un moteur qui vous fait tourner la tête vers votre fenêtre à l’écoute de « Sarafalao »…

La guitare de Nicolas Lafourest, crépusculaire, fait souvent penser à Lee Ranaldo. Fabien Duscombs, à la batterie, fait office de pierre de touche, sommet du triangle, armature du trio. Les mots, véhéments sur « Trop justes » [2] ou distanciés sur ce « Sarafalao » qui joue sur les limites du poétique et de la mièvrerie, font mouche.

Mais surtout, il y a des moments qui vous hantent, comme ce « Kunlun Mankwalesh », titre emprunté à l’Ethiopien Mahmoud Ahmed et stylisé jusqu’à la moëlle, ce riff obsessionnel comme celui du « Kashmir » de Led Zeppelin d’où s’envole peu à peu un baryton convulsé. Comme la mélodie éperdue du soprano sur « William S. Tell », le morceau-titre. Elle pourrait être dansante ; elle est urgente, hors d’haleine.

Cannibales et Vahinés est peut-être le côté sombre du Tigre des Platanes, sa face cachée [3]. C’est en tout cas un trio qui a des choses à dire, et qui les dit fortement. On attend avec intérêt la suite du voyage.

par Diane Gastellu // Publié le 18 mai 2009

[1En 1951, l’écrivain William S. Burroughs tuait son épouse d’une balle dans la tête en voulant reproduire l’exploit de Guillaume Tell. Suivit pour lui une longue période d’errance et de déjantages cumulés.

[2Couplé avec l’ornettien « Mothers of the Veil » dans une version très éloignée de celle de Bojan Z !

[3Marc Demereau et Fabien Duscombs en sont également membres.