André Minvielle
Follow Jon Hendricks… if you can !!!
André Minvielle, Michèle Hendricks, David Linx (voc), Jon Hendricks (texte parlé), M. Loeffler, L. Suarez (acc), J. Regard (cb), P.-F. Dufour (dr)
Label / Distribution : Bee Jazz
Méfiez-vous des apparences.
Ceci n’est pas un disque : c’est un bristol. Un carton d’invitation. Monsieur André Minvielle vous convie aimablement à la fête qu’il organise en l’honneur de son maître, de son grand frère aussi, l’un des hérauts du vocalese [1], scatteur impénitent, parolier compulsif, le “poète-lauréat du jazz” [2], le “James Joyce du jive” [3], j’ai nommé Jon Hendricks.
Pas une réception de prestige au Fouquet’s, non. Vous pouvez ranger votre Rolex. Tenue de soirée facultative (bien que l’invité d’honneur n’ait jamais reculé devant une certaine élégance surannée) : nous sommes ici entre amis. Comme de juste, ces amis partagent des souvenirs en forme d’albums ou de tournées, ou des deux. Pour Lionel Suarez, un long chemin depuis Electrizzante, de Gérard Pansanel, en 2006. Pour Michèle Hendricks : une filiation commune (au sens propre pour elle, figuré pour lui) et le même goût du scat. Avec David Linx, le point d’intersection est double et se nomme de Chassy / Yvinec : on se souvient de leurs prestations respectives sur Chansons sous les bombes et Wonderful World, disques jumeaux également nés sur le label Bee Jazz, tiens tiens. Avec Marcel Loeffler, la parenté s’appelle musette, la source du swing si particulier de maître Minvielle, de son débit canaille comme une casquette sur le côté, à un doigt de la chute, à une double croche de la perte d’équilibre : java vache forever.
L’hôte de marque, Jon Hendricks, ne chante pas. A bientôt quatre-vingt dix ans, on a le droit d’avoir dans la voix ce tremblement, ce voile avec lequel il énonce, malicieux, la règle première du swing : poser les accents là où il faut et pas ailleurs. Ce gentil rappel au règlement et à l’accent, fil conducteur du parcours d’André Minvielle, nous est servi plusieurs fois en cinq langues différentes dont (bien entendu) l’occitan, comme une ritournelle parlée qui ponctue les séquences.
Séquences qui balaient les univers croisés de Jon Hendricks et d’André Minvielle : le jazz et la bossa, le musette et le Béarn. Michèle Hendricks féminise une chanson gaillarde de papa, « Gimme That Wine », entourée des “boys” Linx et Minvielle qui ponctuent et s’exclament ; Linx chante une bossa de Jobim sur un texte de Jon ; les trois vocalistes se rejoignent plage 6 sur « Good Old Lady », une piste-champagne que les professeurs pourront recycler en étude comparative de trois styles de scat bien différents… Puis le Béarnais moustachu vous attire sur ses terrains de chasse favoris : la « Javanaise » de Gainsbourg en duo avec Michèle et un florilège de minvielleries parmi lesquelles une version occitane du « Midnight Sun » de Lionel Hampton et Sonny Burke, et en guise de bouquet final, l’hymne national palois, « Beth Cèu de Pau », bossanovisé de frais. La section rythmique : Jérôme Regard et Pierre-François Dufour, fait mieux qu’assurer : flexible, discrète et présente à la fois, elle offre un écrin velouté sur lequel chatoie l’or des voix et des accordéons, mais dote aussi « Rocarocolo » d’une introduction percutante.
Tout cela dans une ambiance de complicité musicale où l’on retrouve quelque chose de l’atmosphère attendrie des albums d’Yvinec et de Chassy, cette façon de prendre son temps - en dépit du débit ébouriffant de « Rocarocolo » -, de poser les choses sans se presser, de se dire qu’on s’aime à travers la musique. Ce chant-là a des pattes d’oie au coin des yeux : on a beaucoup vécu, on a beaucoup souri, on s’émeut toujours.
Une fête intime entre amis, vraiment, où se délecteront tous les familiers d’André Minvielle, de ses disques et de ses concerts. Et pour cette même raison, l’auditeur qui débarquerait là sans réellement connaître les participants risquerait de se trouver désarçonné, comme on l’est parfois quand on est invité chez des inconnus. A celui-là, on conseillera de découvrir l’hôte d’abord par ses autres albums, notamment le mémorable ¡ Canto ! (1998) et ses contributions citées plus haut. Et de revenir ensuite. Il faut le savoir : on n’entre pas chez Minvielle comme dans un moulin. Mettez les patins, c’est ciré.