Tribune

Christian Rose (1946-2023)

Le photographe de jazz à son dernier instant.


Christian Rose photographiant Erik Truffaz et Murcof © Christian Ducasse

Le photographe Christian Ducasse, collègue et ami, rend un dernier hommage à Christian Rose, disparu le 11 juillet 2023 des suites d’un cancer.
Les deux photographes ont été pendant longtemps des collaborateurs assidus de Jazz Magazine et Christian Rose laisse derrière lui un fond d’archives photos inestimable.

L’INSTANT
Les éditions Filipacchi, son principal employeur (il détestait ce qualificatif), publiaient en 1996 Instants de Jazz, un album de ses photographies.
Dans la préface, Jean-Louis Ginibre écrit : « Rose. C’était la couleur des joues de Christian le jour où, pour la première fois, il est venu me présenter des photos. Ses joues et sa diction trahissaient son émotion et son langage corporel présentait un éventail d’excuses : celle d’avoir eu le culot d’essayer de me rencontrer »
Première publication dans Pariscope. Toujours Jean-Louis Ginibre : « Christian sait saisir l’instant. Il a le timing des grands photographes. Il a l’autorité nécessaire pour s’exprimer mais il sait aussi s’effacer devant le talent des artistes qu’il photographie. »

je n’avais pas envie d’avoir un patron


L’INDÉPENDANCE
Pour nombre d’entre nous, Christian Rose était un original dans le métier. Dès ses débuts professionnels en 1965, il a opté pour un statut social d’indépendant alors qu’enfin les reporters photographes accédaient au statut de journaliste créé en 1935 et qu’en conséquence, nombre de collègues purent bénéficier d’une protection sociale adaptée, pas lui. Christian resta fidèle à cette identité sociale qui épousait ses convictions : « je n’avais pas envie d’avoir un patron ».
Sa réalité était pourtant celle d’un pigiste permanent, notamment à Jazz Magazine qui s’attachait ses services. Jean-Louis Ginibre dirigeait la rédaction, Philippe Carles y faisait ses débuts. Le parcours de Christian a épousé pendant des lustres la ligne éditoriale de Jazz Magazine où il portait les tirages papier qu’il avait lui-même réalisés dans son laboratoire après avoir développé ses films noir et blanc. Cette fidélité à Jazz Magazine fut constante mais elle ne fut guère réciproque sur le tard.

RENCONTRES
La confraternité a toujours régné dans nos rangs en dépit d’une sévère concurrence pour avoir une publication. Ainsi de l’ère du magazine Jazzman où l’élite du métier concourait pour un 1/4 de page. De Leloir à Le Querrec et Rose, en passant par Véronique Guilhem ou Philippe Lévy-Stab et la génération de Jean-Marc Birraux, Philippe Etheldrede, nous avions toujours plaisir à nous rencontrer.
Il y a un art de la rencontre dans les images de Christian : celles entre artistes, qui faisaient le miel de Jazz Magazine.
Christian a ainsi regretté de ne pas pouvoir saisir celle, au bar du New Morning, d’Anita O’Day qui jouait ce soir-là avec Chet Baker de passage à Paris.
Une rencontre non réalisée dans l’au-delà du jazz malgré quelques tentatives restées infructueuses : Olivier Messiaen.
La plus longue, très amicale ? Lors d’une interview, John McLaughlin, toujours sur les routes, confessa : « l’année dernière, j’ai passé plus de temps avec Christian Rose qu’avec ma famille ». Lors de son premier voyage à New York en 1968, Christian Rose avait contacté l’illustre guitariste qui faisait ses débuts américains. Cette relation sera un Lifetime jusqu’à leur ultime rencontre à Boulogne le 23 mai 2022.

L’an passé, on lui a ainsi refusé l’accréditation au festival Jazz à la Villette.


LE MÉTIER
Si Christian Rose cultivait la fidélité avec nombre d’acteurs de l’univers de la musique, il a souffert, et nous avec, de l’ingratitude, de l’amnésie de nombre de programmateurs et gérants de festivals.
L’an passé, on lui a ainsi refusé l’accréditation au festival Jazz à la Villette. Précédemment, Jazz à Vienne fut moins hospitalier et il cessa de s’y rendre.
L’été venant, il se plaisait à aller de club en club dans Paris où les têtes d’affiche estivalières se produisaient sans aucune restriction pour les prises de vue.
Le Sunset, le New Morning ont toujours eu sa préférence et, n’eût été sa discrétion, il y aurait eu son rond de serviette, lui qui fréquentait la salle de la rue des Petites Écuries depuis son ouverture et le Sunset idem.
Riche œuvre, présence quotidienne tout à son engagement laissent une trace indélébile au bénéfice de l’histoire des musiques qu’il a aimé documenter par des choix pertinents.
Un cursus colossal largement diffusé par l’agence Dalle, animée par Bertrand Alary. Une relation entre passionnés (Bertrand Alary lui même photographe, la bible photographique du Métal) : « Sa disparition touche tous les gens qui l’ont connu… depuis le temps qu’on bossait ensemble. Dès le début de l’agence en 1993, il en faisait partie. Et je me rappelle avoir commencé à lui vendre quelques images dans un magazine japonais avant même que l’agence existe… »

Ces difficultés croissantes à exister professionnellement dans les grands événements - ou événements auto-proclamés - renvoient à ce point de vue de Christian : « Nous ne devons pas oublier que nous sommes toujours des intrus, et il faut savoir se faire oublier ».
Nombre d’entre nous ne sont pas près d’oublier Christian Rose.


Christian Ducasse