Tribune

Frank Zappa : retour vers le futur

Et si on jouait sa musiques des années 1980 au piano ?


Frank Zappa par Henning Lohner

Trente ans après sa mort, le commerce autour de la mémoire de Frank Zappa se porte plutôt bien. Ses enfants mettent régulièrement sur le marché de pléthoriques coffrets de disques dont la pertinence semble parfois discutable. Heureusement, les livres sur le musicien le plus singulier du siècle dernier continuent d’être publiés et, disons-le tout de suite, c’est une excellente chose. Alors que demander de plus pour surprendre les amateurs et pour honorer encore et encore cette musique hors norme ?

Peut-être un film grand public comme il y en a eu tant sur d’autres rockstars ? Peut-être des vidéos de concerts inédits ? Plus de représentations de ses œuvres orchestrales ? Un roman graphique de qualité ?

Et pourquoi pas un disque de transcription des compositions de la décennie 1980 pour piano solo ? Ces années sont malheureusement celles de sonorités plus que discutables, notamment dues au claviers qui desservent la richesse des compositions. Elles marquent pourtant un tournant après la période précédente, avec désormais des pièces de facture moins excentrique, plus classiques mais au lyrisme exacerbé. Cette idée n’est pas subitement sortie d’un chapeau. Stefano Bollani avait brillamment repris une autre composition sur son disque Småt Småt (« Let’s Move To Cleveland ») mais n’avait pas intégré de compositions de cette période dans son hommage ultérieur Sheik Yer Zappa de 2014. Cette envie s’est confirmée ensuite, à la découverte sur Youtube d’un concert donné par la pianiste Risa Takeda de pièces zappaïennes dont six comprises entre 1980 et 1986 (« Easy Meat », « What’s New In Baltimore, » « Envelopes », « G-Spot Tornado », « Drowning Witch » et celle mentionnée précédemment). Aucun disque officiel n’existe malheureusement à ce jour.

Il existe déjà des disques en piano solo (à titre d’exemple, celui de Mats Öberg paru en 2020, Frankful, ou celui de Stefano Bollani cité précédemment), mais ils font souvent la part belle aux compositions des années 1970 et sont marqués de la personnalité de leur créateur. Dans le cas de Risa Takeda, on peut parler de transcriptions, tant les versions au piano sont un miroir des versions pour groupe de rock. Il ne semble pas y avoir de volonté de sa part de réappropriation ou d’embellissement de l’œuvre, juste le travail ingrat, intransigeant mais ô combien efficace de transcription. À l’écoute, on y retrouve surtout la même énergie, la même fougue que dans les enregistrements originaux. L’appropriation de ce nouveau matériau sonore se fait également quasi instantanément. À titre d’exemple, la version d’« Easy Meat » mérite de s’y arrêter (à partir de la première minute sur la vidéo ci-dessous). Ce morceau de bravoure lors des concerts de cette période peut enfin être apprécié à sa juste valeur.

Cet exercice a le mérite de donner un nouveau coup de projecteur sur des compositions qui peuvent sembler de second plan au regard de l’ensemble de l’œuvre. Un tel disque apporterait très certainement beaucoup de joie chez les fans et même chez les néophytes. La famille Zappa a déjà dévoilé des versions de « The Black Page #1 / #2 » sur le coffret hommage du Live in New York. Alors qui sait, peut-être pourrait-elle continuer sur cette lancée ?

On en reparle dans cinq ans ?