Tribune

Sylvain Luc : on dirait le Sud, le temps dure longtemps

Retour sur la carrière de Sylvain Luc, guitariste exigeant et populaire, musicien sérieux et facétieux.


Sylvain Luc © Christophe Charpenel

Le guitariste Sylvain Luc est décédé ce 13 mars. La nouvelle a sidéré le monde du jazz et de la guitare. Référence incontournable depuis les années 1990, on le croisait régulièrement dans les programmations des grands et des petits festivals de jazz. Retour sur la carrière d’un guitariste qui laisse orphelins de nombreux musiciens et mélomanes.

Sylvain Luc a fait irruption sur la scène jazz comme un superbe cadeau musical. En 1993, les mélomanes découvraient son album solo Piaia telle une offrande : un technicien hors pair avec quelque chose en plus qui allait dynamiter la scène jazz francophone. Il sortira, dix ans plus tard, son second disque solo, Ambre. Une formule qui gardera sa prédilection puisque, depuis lors, sont parus quatre autres albums dans cette configuration, dont le dernier Simple Song. Une véritable pépite. On y trouve notamment des reprises – des revisites serait un terme plus juste – de grands standards d’ici et d’ailleurs, de musiques populaires basques, de chansons traditionnelles françaises, de tubes de la pop et de tout ce qui pouvait sonner sous ses dix doigts et ses six cordes. D’« Indifférence » à « Flor de Luna » en passant par « Waltz for Debbie », il y a là tout un éventail de morceaux revisités qui vous laissent bouche bée, les yeux écarquillés.

Sylvain Luc ©️ Patrick Martineau

Mais Sylvain Luc affectionnait tout autant le duo ou le trio. Sud, qu’il partagea avec André Ceccarelli et Jean-Marc Jafet, avec lequel on le croisa longtemps, tant sur disque – Sud (1998), Trio Sud (2001) et Young and Fine (2008) – qu’en concert. Et ses nombreux duos avec Médéric Collignon, Stéphane Belmondo, Biréli Lagrène, Richard Galliano, Bernard Lubat, Paul Lay. Il travaillait également avec sa compagne, Marylise Florid : D’une rive à l’autre traçait des liens entre la musique classique et l’improvisation. Cette dernière était au cœur de son jeu, qu’il s’agisse de prolongements de thèmes comme il a pu faire en quartet avec Stefano di Battista, ou de moments où il se jetait dans l’improvisation totale. L’écoute d’Intranquillité, ou les concerts avec Médéric Collignon, en témoignent.

On a bien sûr beaucoup glosé sur sa technique et son aisance stupéfiante à l’instrument. C’était indiscutable mais fort réducteur. A l’occasion d’une interview pour la Jazzette de Souillac en Jazz en 2009, il avait déclaré que jouer à toute vitesse n’était pas une fin en soi, que ce qui comptait était l’émotion. Il l’avait répété lors d’une interview dans ces pages en 2021. La technique se devait d’être « un outil » permettant « d’être le plus possible ancré dans la musique, de procurer des émotions ». Il ajoutera même qu’il ne souhaitait pas « sidérer les gens ».

Son parcours professionnel l’avait conduit à être musicien de studio, contribuant à diversifier son jeu. De cette diversité témoigne sa polyvalence sur guitare acoustique nylon ou métal comme aux guitares électriques. La nylon avait néanmoins sa préférence : il fut relativement longtemps ambassadeur des guitares Godin.

La musique était un élément de la vie de Sylvain Luc au quotidien. Elle pouvait être alimentée par des lectures, des films, des discussions… Le secret des facéties dans son jeu. Il aimait les clins d’œil, qu’il amenait avec sourire et espièglerie. Vous pouvez encore – et fort heureusement – voir son duo avec Biréli Lagrène à Marciac en 2000 et leurs échanges live sur « Estate » ou encore « Isn’t She Lovely » : vous ne manquerez pas d’y croiser l’humour animant cette musique qui nous a portés pendant près de quarante ans.