Chronique

Claude Barthélémy

Sereine

Claude Barthélémy (g), Jacques Mahieux (d), Nicolas Mahieux (b), Didier Ithursarry (acc), Frank Tortiller (vib, marimba), Elise Caron (voc), Médéric Collignon (voix, cornet), Jean-Louis Pommier (tb), Bojan Zulfikarpasic (p).

Label / Distribution : Label Bleu

Immédiatement on est dans un arrière-pays connu et pourtant dérangeant… Cela démarre bizarrement avec les facéties au cornet de poche, les élucubrations vocales d‘un Méderic Collignon bien allumé, comme il peut l’être avec Le Sacre du Tympan, sur un thème faussement folklorique, accompagné d’ailleurs par le piano de Bojan Z.

Et puis Monsieur Claude enchaîne avec les variations sur une de ses Stratocasters, et là on se retrouve dans un univers plus familier. Barthélémy est amoureux fou de l’instrument qui le lui rend bien, toutes ses guitares franchement électrifiées s’abandonnant voluptueusement sous ses doigts plus qu’experts.

Compositeur fécond, arrangeur diabolique, généreux chef de meute, improvisateur authentique, il parvient à faire un groupe qui sonne jazz sans trop de souffleurs (Jean-Louis Pommier au trombone, et Philippe Lemoine au saxophone) tout en empruntant à la musique populaire et contemporaine, célébrant ainsi le mariage surprenant et heureux de l’accordéon de Didier Ithursarry et du vibraphone/marimba de Frank Tortiller

Sereine expérimentation à laquelle il nous soumet, entouré de son équipe à l’envergure de big band, où chacun joue en solo, offrant à l’ensemble sa ligne propre, dans des directions comme éclatées ! En grande formation, le plaisir vient souvent de l’unité, on renonce ici à la trouver jamais, et on se laisse entraîner par cette improvisation, confronté à l’écoute des instruments .

Facture classiquement jazz avec une brassée de nouveautés pour cette musique des lisières : au petit jeu des influences, on entend aussi bien Portal que Galliano, on pense reconnaître les harmoniques de McLaughlin, ou de toute autre guitare expérimentale aux accents de rock ou de jazz-fusion … et pourtant ce n’est pas cela ! Pas seulement. Preuve de l’intelligence d’une musique qui explore tous les possibles !

Humoristique et éclectique comme le portrait chinois que Barthélémy s’amuse à nous proposer, suivant les différents paysages des titres, que dessinent les riches couleurs de sa palette ! Il nous dévoile un peu de ses affinités avec « Munir » (pour l’oudiste Munir Bachir), « Vieira da Silva » (la peintre portugaise), ses Barthématiques et « Thom » (en référence à ses études et à René Thomas, guitariste et inventeur de la théorie des catastrophes)… La musique ne s’arrête jamais, ne nous laisse aucun répit, sauf peut-être avec le chant rafraîchissant d’Elise Caron : les titres s’emboîtent à l’image de ce kaléidoscope. Barthélémy recompose une géographie personnelle, en partance pour des ailleurs rêvés : les nostalgiques de la chanson de Bernard Dimey et Henri Salvador savent bien que « Syracuse » est une invitation au voyage qu’on ne fera jamais.

Si on est surpris d’abord par la couleur du titre, qui s’inscrit plutôt dans le paradoxe, à l’écoute de l’album, cette recherche permanente entraîne loin, très loin comme la fumée, vers les nuages sépia de la couverture. Sereine, c’est exactement dans cet état d’esprit que j’ai traversé les chemins arpentés, les carrefours proposés, ou suivi les personnages rencontrés.

En un mot, rassérénée.