Chronique

Didier Labbé quartet

Bazar Kumpanya

Eric Boccalini (dr) - Didier Dulieux (acc) - Laurent Guitton (tuba) - Didier Labbé (as, ss, fl) - Izzet Kizil (perc) - Recep Sirpilioglu (kaba zurna) - Cem Varveren (baglama, électro-saz)

Label / Distribution : Compagnie Messieurs Mesdames

L’histoire d’amour entre Didier Labbé et la Turquie ne tombe pas du ciel : on sait qu’il fréquente assidûment depuis des années - Zadar, en 2001, en témoignait brillamment - les musiques des Balkans, qui portent la trace d’une longue occupation turque. Il n’y avait plus qu’à passer le pont…

Bazar Kumpanya est à la fois le nom de l’album et de l’ensemble franco-turc « à géométrie variable » constitué autour du quartette qu’anime depuis plus de dix ans le saxophoniste toulousain. Sur l’album, la formation est au grand complet : le quartet invite Cem Varveren, Recep Sirpilioglu et Izzet Kizil, ainsi que Ronald Curchod, auteur du délicieux carnet de promenade joint à l’album et du visuel de la pochette et Bruno Wagner, vidéaste, photographe et plasticien, de la dixième plage du CD, une vidéo qui vous fait parcourir Istanbul en tous sens, en croisant à chaque coin de rue (sur un mur, sur un camion…) le septette jouant « Nargile Kafe »."

L’instrumentation mérite qu’on s’y arrête. Côté turc, Cem Varverem surprend par sa virtuosité au baglama et à l’électro-saz, et par sa versatilité (comparez, pour voir, les solos de « Yakamoz » et de « Turk’n’roll »). La kaba zurna (hautbois traditionnel) dont joue Recep Sirpilioglu et les percussions d’Izzet Kizil rendent manifeste l’identité turque dès la première note. L’accordéon de Didier Dulieux est suspendu comme le pont de Galata entre les musiques d’Orient et d’Occident, un pont qui passe par les musiques populaires autant que par les savantes (l’introduction de « Yüksek Tepeler », un morceau à cinq temps qui donne à tous les instrumentistes leur moment de bravoure, ou son solo dans « Turk’n’roll »). La sonorité très dense, centrée sur les toms, du batteur Eric Boccalini et sa solidité rythmique fournissent une assise confortable. L’ingrédient le plus « jazz » est apporté par les soufflants : Didier Labbé lui-même aux saxophones alto et soprano le plus souvent, à la flûte aussi, et Laurent Guitton dont le tuba joue le rôle habituellement dévolu aux bassistes. Un choix qui détermine toute la dynamique de la musique : il communique au groupe - au sens propre comme au figuré - un souffle, une respiration très différente de celle d’une basse à cordes. Pour vous faire une idée, réécoutez l’album et imaginez une autre basse à la place… Le tubiste s’offre en outre quelques superbes chorus, notamment sur « Büyük Hotel ».

Le répertoire mêle trois traditionnels turcs et six compositions originales aux accents plus occidentaux (« Complètement stambouliotes », « Turk’n’roll »). Il n’évite pas toujours le pittoresque mais on le lui pardonne bien volontiers, tant les musiciens prennent un plaisir manifeste à jouer. Or, le plaisir, c’est quand même bien ce qu’on attend de la musique, non ?