Tribune

Disparition de Chico Hamilton (1921 - 2013)

Batteur, chef d’orchestre, né à Los Angeles le 21 septembre 1921, Chico Hamilton est mort le 25 novembre 2013 à New York. Il laisse le souvenir d’un drummer d’exception et d’un explorateur de formes nouvelles en jazz.


Quand John Lewis (1920 - 2001), peu suspect de recruter ses accompagnateurs sur d’autres critères que strictement musicaux, a choisi les trois instrumentistes issus de la côte Ouest destinés à faire pendant aux deux de la côte Est sur son disque (magnifique, on doit le dire au passage) Two Degrees East, Three Degrees West, il a pris Chico Hamilton à la batterie, complétant son quintet avec Jim Hall (toujours parmi nous, né en 1930), Bill Perkins (1924 - 2003) et Percy Heath à la contrebasse (1923 - 2005). Chico Hamilton vient de nous quitter. Encore un fondateur qui disparaît, celui-ci d’une importance historique tout à fait remarquable, bien au-delà de son aura médiatique, qui n’est pas très grande, il faut bien le reconnaître.

Né à Los Angeles, prénommé Foreststorn mais vite surnommé « Chico », il a commencé par étudier la clarinette avant de se tourner vers la batterie. A la Jefferson High School, il croise Charles Mingus, Illinois Jacquet, Dexter Gordon, et fait ses grands débuts dans le big band de Lionel Hampton. On le trouve aux côtés de Lester Young dans quelques-unes des sessions « Aladdin », reçoit des leçons de Jo Jones, découvre la batterie moderne issue du bop à travers quelques conseils d’Art Blakey, puis est engagé longuement par Lena Horne, un travail qui lui permettra de peaufiner un style plein de discrétion et de subtilité à la batterie.

Sans laisser pour autant cette collaboration fructueuse, il est engagé par Gerry Mulligan, qui forme son premier quartet sans piano. Le succès est immédiat, au point que la compagnie de disques Pacific Jazz lui propose d’enregistrer sous son nom. Il choisit alors la formule du trio avec guitare et contrebasse, et révèle ainsi le talent de Howard Roberts (g). C’est en 1955 qu’il constitue le quintette qui va le rendre célèbre, avec une instrumentation très originale pour l’époque et un répertoire qu’on qualifiera rapidement de « jazz de chambre ». La musique, en grande partie écrite, fait appel dans sa structure au classique autant qu’au jazz. Buddy Collette, un ami d’enfance, est aux flûtes et divers saxophones et clarinettes, Fred Katz (rencontré par hasard un soir de concert avec Lena Horne) est au violoncelle (il nous a quittés très récemment, voir ici), Jim Hall est le guitariste et Carson Smith le contrebassiste.

Ce quintette se produit au festival de Newport, remporte un succès modeste à ses débuts, car la musique est à l’opposé du « hard bop » qui domine alors sur l’autre côte, mais finit par imposer sa manière, qui restera comme une des sommets du style « West Coast ». « Blue Sands » est un morceau emblématique de cette époque, joué d’ailleurs à Newport. A une époque où la plupart des musiciens enchaînent énoncé du thème, défilé des solistes et retour au thème, Chico Hamilton et son quintet laissent une large place à l’interaction collective, un peu dans la lignée de ce que fut Intuition de Lennie Tristano en 1949, et annonçant le retour à l’improvisation collective. Les disques se succèdent, la participation à des films aussi (The Sweet Smell Of Success), Paul Horn et John Pisano remplacent Buddy Collette et Jim Hall, en 1958 c’est Nate Gershman qui remplace Fred Katz, et c’est ensuite une brève mais intense collaboration avec Eric Dolphy, qui laisse une belle trace de son passage dans The Original Ellington Suite, retrouvée il y a une dizaine d’années environ.

En 1960, Charles Lloyd arrive au saxophone et le violoncelle est abandonné. La musique, vite plus charnue, correspond davantage à l’esprit du moment, et Hamilton multiplie rencontres et expériences avec de jeunes musiciens, qu’il contribue à faire connaître : Gabor Szabo, Larry Coryell et Arthur Blythe sont ainsi mis en avant. Il enregistre pour le label « Impulse », y croise des freemen de la première heure, comme Archie Shepp, qui est au piano dans « For Mods Only » sur The Dealer.

La fin de sa vie aura été marquée d’une intense activité d’enseignement et de prestations en concert - avec reconstitution du célèbre quintet évidemment -, mais aussi le souci de révéler de jeunes musiciens. On n’oubliera pas de signaler les disques réalisés vers la fin des années 80 et le début des années 90 pour le label Soul Note.

Batteur influencé par Jo Jones pour tout ce qui touche à la pratique des balais, où il excelle, Chico Hamilton est avant tout un remarquable coloriste, usant des mailloches avec un sens très aigu des contrastes, et constamment tendu vers un swing plein de finesse.