« Ravel » de Jean Echenoz, aux Artistic Athévains
Mise en scène d’Anne-Marie Lazarini, musique originale d’Andy Emler
Echenoz/Lazarini, Ravel en vie !
L’approche d’Anne-Marie Lazarini sur le texte de Jean Echenoz est une mécanique fluide, toute en légèreté et en habileté. Elle a su personnifier et rendre vivant ce Ravel avec maestria, sans subterfuges de mise en scène superflus ou attendus. Le bleu y suffit. Elle se courbe autour de l’écriture d’Echenoz, l’avive dans ses aspérités musicales. C’est un corps narré à trois voix, deux narrateurs et Ravel, et ce corps c’est Ravel en questions qu’Echenoz énonce en creux.
L’idée d’un musicien en scène souligne la volonté du propos d’Anne-Marie Lazarini, dans le donner corps/esquisse à un sujet, et où la musique devient le contrepoint des mots. Ce Ravel porté au théâtre sans musique aurait été une erreur, et faire entendre la musique de Maurice Ravel trahirait le propos d’Echenoz.
Andy Emler, le pianiste [1], a parfaitement compris cela, et ses propres compositions n’illustrent pas mais s’inscrivent au plus près de celles du maître et éclairent sans emphase l’oeuvre commune Ravel/Echenoz/Lazarini. Cette présence musicale en impromptus affirmés est indispensable à l’équilibre du spectacle voulu par la metteuse en scène. Tel un choix d’évidence.
- Photo : Marion Duhamel
Librement, Echenoz “interprète« Ravel dans les dix dernières années de sa vie, tout comme, par le ballet subtil de ses comédiens, Lazarini “interprète » Echenoz, en dévoilant ce Ravel-là. Toutes les intentions se répondent sur la scène. Soudain les mots de l’auteur se voient, et c’est le compositeur qui apparaît en filigrane.
Ravel, une volute dans l’éther - la dernière image du spectacle ? -, semble comme perdu entre le ciel et l’eau, dans le bleu intense du décor miniature, happé entre le rêve et le cauchemar d’une création qui paraît sans cesse lui échapper. A qui appartient-elle vraiment, d’ailleurs ? A l’interprète ? La question vaut paradoxe et ce paradoxe est-il envisageable par le compositeur ? C’est non !
Insomnie, paresse, talent, tout concourt à faire de Ravel ce dandy absent à lui-même, cabot insoluble dans l’autre et insatisfait ; il est cet être tourmenté et fragile en proie à la solitude, dans une sorte d’incapacité à vivre d’où la musique jaillit comme par effraction.
Le doigt des mots sur le cortex d’un homme confronté à sa musique en son remuant voyage vers la gloire, jusqu’à sa propre désolation, abandonné à un silence assourdissant, tel est le sens de la visite à Ravel à laquelle nous invite Echenoz. Un Ravel d’interrogations, dans ce sourd combat entre le Ravel homme et le Ravel artiste, qui n’a de cesse d’interpeller notre intimité et notre rapport à l’autre…
Cette partition est portée par trois excellents comédiens, impeccables de justesse [2], pénétrés ce qu’il faut par la musique des mots, qu’ils jouent avec la distance un brin ironique dont Echenoz habille sa prose.
Anne-Marie Lazarini nous fait respirer l’éclat intérieur de l’écriture modeste et économe - en apparence - de l’écrivain, mais rendue ici à sa profonde générosité par l’incarnation de ce Ravel d’exception.
Un spectacle d’une intelligente finesse, à la fois dense et léger. Bref, totalement précieux.
Théâtre Artistic Athévains 45, rue Richard Lenoir – 75011 Paris – M° Voltaire
Jusqu’au 5 mai
Mardi 20h – Mercredi, jeudi 19h – Vendredi, samedi 20h30 – Samedi, dimanche 16h
Réservation obligatoire 01 43 56 38 32
Week-end : Tout Echenoz ? Tout Echenoz ! du samedi 13 midi au dimanche 14 avril au soir
(Lectures, films, musique, exposition, brunch) réservation obligatoire (nombre de places limité)
Concert exceptionnel : samedi 13 avril à 21h – Andy Emler piano solo