Scènes

Tyreek McDole, chantre de la Great Black Music

Nancy Jazz Pulsations 2025 # Mouvement V – Vendredi 17 octobre, Théâtre de la Manufacture : Enji, Tyreek McDole.


Tyreek McDole © Jacky Joannès

Le Théâtre de la Manufacture a vécu un autre temps fort de sa programmation jazz. Une soirée toute en contrastes : c’est d’abord la subtile musique de la chanteuse mongole Enji, puis la célébration de la Great Black Music par le jeune chanteur américain d’origine haïtienne Tyreek McDole.

On se gardera bien d’essayer de prononcer le nom de la chanteuse mongole Enkhjargal Erkhembayar, plus connue sous l’identité d’Enji. Cette trentenaire née à Oulan-Bator et qui vit à Munich s’installe furtivement sur la scène du Théâtre de la Manufacture, entourée de l’Allemand Paul Brändle à la guitare et du Hollandais River Adomeit à la contrebasse : deux musiciens tout aussi discrets qu’elle. Enji présente ses chansons – qui dessinent un univers très intimiste entre jazz et traditions de son pays natal – en anglais, ce qu’on apprécie d’autant plus que le sens de leurs paroles nous échappe, il faut bien l’admettre. Qu’importe, un véritable petit état de grâce va s’installer durant une bonne heure et nous embarquer en direction d’histoires à caractère personnel (comme celle relatant son nom qui signifie rouge, et provient de sa propension à crier beaucoup lors de sa naissance) et mélodies populaires, telle celle chantée par ses parents quand ils travaillaient [1]. Tout est suggéré, dans un exercice d’introspection où les couleurs et les accords des instruments sont parfois étonnants (le travail de Paul Brändle, parfois à la limite d’une douce dissonance, est un régal) ; le chant d’Enji, qu’elle a forgé depuis son enfance en s’initiant à l’Urtin Duu, forme ancestrale de chant long mongol, est aérien, mélancolique et joyeux à la fois. Son concert prendra fin avec une composition ayant pour titre : chanter. On ne saurait dire les choses plus simplement. Il s’agit de sa première tournée européenne : gageons qu’elle ne sera pas la dernière.

Enji © Jacky Joannès

À 25 ans, Tyreek McDole est salué comme l’étoile montante du jazz contemporain. Lauréat du concours Sarah Vaughan en 2023, il a fait montre de l’étendue de son talent (et de son registre vocal !) avec la parution de son premier disque, Open Up Your Senses, paru sur le label français Artwork. On peut y découvrir celui qui incarne aujourd’hui une nouvelle génération de vocalistes spirituels et engagés. Aussi sa venue à Nancy Jazz Pulsations était-elle très attendue. Ce qu’a bien compris le public qui remplit aisément le Théâtre de la Manufacture. Le chanteur est entouré d’une garde rapprochée de haut vol : le pianiste Victor Gould, le contrebassiste Dan Finn et le batteur (survolté) Gary Jones III. Souriant, très à l’aise et chaleureux, Tyreek McDole va au-delà de ce qu’on pouvait espérer. Un engagement sans faille dans un répertoire qui est celui de la Great Black Music des origines à nos jours, de Billy Strayhorn à Herbie Hancock en passant par Ray Charles, Nicholas Payton, Leon Thomas ou Allyn Johnson. Une puissance vocale dont l’intensité transmet une forte vibration dans la salle. Une capacité à embrasser tous les répertoires, entre douceur et révolte. Son interprétation de « Lush Life » (composé par Billy Strayhorn) n’est pas sans évoquer celle de Johnny Hartmann, lorsque celui-ci avait enregistré en 1963 aux côtés de John Coltrane et son quartet. C’est un moment de réelle spiritualité. On comprend qu’un grand monsieur de la musique se produit sous nos yeux assez ébahis ; mieux, il assure un spectacle total en s’installant aux claviers, abordant les rivages du funk et du groove sur un thème d’Alice Coltrane, avant d’appeler sur scène un certain… Theo Crocker, son compatriote trompettiste à l’affiche du festival lors la soirée de clôture sur cette même scène, pour une interprétation de « Butterfly » d’Herbie Hancock. Le plaisir est démultiplié et le rappel (« Everyday I Have The Blues ») sera aussi l’occasion pour Tyreek McDole de faire montre durant quelques instants de ses talents… de batteur ! Comme un feu d’artifice final et une conclusion heureuse. Voilà bien une soirée qu’il ne fallait pas manquer, pleine de promesses et qui a pris la forme d’une véritable célébration.

Tyreek McDole @ Jacky Joannès