Les Doigts de l’Homme passent la main
Nancy Jazz Pulsations 2025 # Mouvement IV – Jeudi 16 octobre, Théâtre de la Manufacture : Pansch Weiss & Jimmy Hoffmann Quartet, Les Doigts de l’Homme.
Les Doigts de l’Homme © Jacky Joannès
Le programme du jour au Théâtre de la Manufacture promet une soirée « jazz manouche ». C’est l’assurance d’une salle pleine (ce qui est effectivement le cas) et d’un voyage dont on connaît à l’avance la destination. Mais la double programmation aura finalement abouti à une déviation dans la trajectoire annoncée. Si le quartet de Pansch Weiss et Jimmy Hoffmann s’est bien lancé sur la piste attendue, les Doigts de l’Homme ont cherché à s’en écarter. Une dernière fois, pour ce qui les concerne !
Ne cachons pas un certain « plaisir coupable » aux accents parfois nostalgiques à l’idée de vivre un concert estampillé « jazz manouche ». Un plaisir qui serait celui de savoir très exactement où l’on va en compagnie de musiciens voyageurs, dans une sorte de sécurité virtuose et véloce qui est la marque de fabrique d’un genre magnifié autrefois par Django Reinhardt et Stéphane Grappelli. Ces deux-là ont marqué l’histoire du jazz à jamais et leur ombre tutélaire plane évidemment sur la musique du guitariste Pansch Weiss et du violoniste Jimmy Hoffmann. Leur quartet ne manque son rendez-vous avec le public de Nancy Jazz Pulsations, le guitariste leader ne cachant pas son émotion d’être présent sur une si belle scène face à une salle pleine. Aucune surprise donc, car tous les codes de ce jazz-là sont parfaitement respectés : une rythmique tenue de main de fer par Benji Winterstein à la guitare et Thierry Chanteloup à la contrebasse ; des joutes amicales et heureuses entre la guitare de Pansch Weiss et le violon de Jimmy Hoffmann. Un moment d’émotion aussi, lorsque Weiss annoncera une valse composée par son père, qui n’est plus de ce monde. Le quartet n’invente rien, c’est vrai, mais il célèbre une histoire toujours bien vivante, avec simplicité et humanité dans une démarche humble qui force le respect. Nul doute que le public a fini par arborer le même sourire que les quatre musiciens. C’est une performance salutaire en nos heures si troubles. Merci à eux, ne serait-ce que pour cette raison.

- Pansch Weiss © Jacky Joannès
Le groupe Les Doigts de l’Homme existe depuis 22 ans. Venus de Bretagne pour se poser ensuite en « Ardèche du Sud », ses musiciens ont décidé de mettre un terme à l’aventure à la faveur d’une tournée dont le concert de ce soir est le dernier rendez-vous. Dont acte. Il y a comme un effet de douche froide dans le public au moment de cette annonce. Pour marquer le coup, plutôt que de proposer une compilation à caractère rétrospectif, ils viennent de publier un double album, Erratic, The Art Of Roaming, mettant en scène les deux versants de leur musique, l’un acoustique, l’autre électrique. Une dualité qui sera reproduite sur scène avec deux temps distincts et la présence aux percussions de Nazime Aliouche aux percussions remplacé ensuite par Pierre Rettien à la batterie. Le programme annoncé par NJP est, comme on l’a souligné, celui d’une soirée « jazz manouche ». Il faut chercher dans la circulation de la parole entre les deux guitares (celles de Benoît Convert et d’Olivier Kikteff) le lien qui unit la musique des Doigts de l’Homme à ce genre qui a été célébré avec une humilité assez émouvante quelques minutes auparavant par le quartet de Pansch Weiss et Jimmy Hoffmann. Pour le reste, l’univers du groupe s’en détache très nettement, a fortiori durant la seconde partie du concert – la première ayant suscité une plus grande adhésion – qui lorgne plus vers un jazz rock de bonne facture, très virtuose, en particulier grâce au travail de Benoît Convert, fin mélodiste et compositeur sensible. Quelque chose toutefois retient notre enthousiasme (et celui de toute la salle, il faut l’admettre) : est-ce dû à l’humour assez particulier, pas toujours de bon goût, d’Olivier Kitkeff et ses blagues entre potes, lors de ses nombreuses interventions parlées, qui tombent à plat ? Est-ce qu’une forme de trac gagne les musiciens à l’idée de jouer dans ce cadre pour la dernière fois ? Il faut bien reconnaître qu’une certaine froideur a gagné leur musique au fil des minutes, comme si petit à petit ils se détachaient de leur propre musique. Les Doigts de l’Homme ont décidé de passer la main. Resteront au bout de cette aventure leur idiome coloré et huit albums parus depuis 2003, histoire de témoigner d’une réelle créativité, qui aura sans doute été mal mise en lumière ce soir, au-delà du talent des musiciens (tous sont d’excellents instrumentistes) et de leur capacité à faire tomber les murs d’un style musical qui était le leur à l’origine.

- Benoît Convert (Les Doigts de l’Homme) © Jacky Joannès

