Kas Product conjugue le passé au présent
Nancy Jazz Pulsations 2025 # Mouvement II – Mardi 14 octobre, Chapiteau de la Pépinière : Kas Product.
Kas Product © Jacky Joannès
Et si pour une fois on s’accordait un petit pas de côté, sans trop s’accrocher au mot « jazz » bien lové entre Nancy et Pulsations ? Surtout lorsqu’il s’agit de remonter le cours du temps pour évoquer une histoire fortement liée à la ville puisqu’un rendez-vous était donné au chapiteau de la Pépinière avec Mona Soyoc et ses deux nouveaux partenaires de scène pour une résurgence de Kas Product, binôme ayant éclos à Nancy en 1980.
Quand on y songe, on se dit que ce concert n’aurait jamais dû avoir lieu… Figure emblématique de la cold wave, qu’on définira sommairement comme une vague post-punk au début des années 80, Kas Product est devenu objet de culte au fil des décennies. Trois albums au compteur : Try Out (1982), By Pass (1983), Ego Eye (1986) pour Mona Soyoc (chant) et Daniel Favre aka Spatsz (synthétiseurs et boîtes à rythmes) avant une séparation au milieu des années 80 et quelques apparitions ponctuelles à compter de 2005. Ce fut ensuite la disparition de Spatsz en 2019 et la remise sur pieds toute récente de la formation par la chanteuse, épaulée pour cela par Pierre Corneau à la basse [1] et Thomas Bouetel (claviers et machines). Un nouveau disque, Reloaded a même vu le jour en 2025. Froideur sonore et visuelle, musique minimaliste et glaciale, un chant volontiers désenchanté et désincarné, des rythmes répétitifs scandés à grand renfort de riffs se fracassant sur des nappes synthétiques, telles étaient (et restent) les caractéristiques de l’univers de Kas Product. « So Young But So Cold », disaient-ils…
L’histoire de Kas Product ne s’est donc pas arrêtée et la curiosité était de mise avant sa prestation en première partie d’une soirée à l’affiche de laquelle figuraient ensuite les Pyrénéens de The Limiñanas et les Britanniques de Morcheeba. Que pouvait-il en être, tant d’années après et en l’absence de celui qu’on surnommait parfois « l’homme à la mèche » ? Le nouveau disque fournissait toutefois quelques indices : l’esprit était toujours là, même si une évolution plus rock (voire emphatique à certains moments) se faisait ressentir.

- Mona Soyoc (Kas Product) © Jacky Joannès
De fait, Mona Soyoc et ses partenaires ont parfaitement accompli leur mission. La chanteuse, silhouette frêle et mine pâle, est à l’évidence émue de retrouver la scène de NJP après cette si longue absence. Elle ne va pas ménager ses efforts (ni ses cordes vocales) et déployer une énergie aux accents désespérés pour faire revivre le rêve sombre de Kas Product. Il n’y a pas un seul temps mort durant l’heure qui lui est accordée, et c’est ici l’occasion de saluer le parfait travail de design sonore assuré par Thomas Bouetel tout autant que la surpuissance de la basse tenue par Pierre Corneau. Kas Product part du principe que la meilleure manière de relier deux points est la ligne droite. Pas de périphrases, la vie reste un combat de chaque jour : le trio avance comme « une seule femme » et l’on se dit qu’en notre époque de variété mondialisée frelatée par le poison des réseaux sociaux, le groupe (car c’en est un) joue carte sur tables et ne triche pas avec son public. Si une pointe d’affèterie pouvait être suspectée il y a 40 ans, il ne saurait en être question aujourd’hui.
Le monde des années 80 était désenchanté et le présent ne l’est pas moins. Kas Product n’est au bout du compte pas seulement un souvenir. À sa manière, un peu distante pour ne pas dire hautaine, il reste le témoin de notre époque. Et on aura une pensée amicale pour une autre figure essentielle de la vie musicale nancéienne, l’ami Gérard Nguyen, qui fut le producteur manager du groupe de 1981 à 1984 et que nous avions par ailleurs rencontré il y a maintenant une quinzaine d’années à la faveur d’un entretien, à l’occasion de la parution d’un livre consacré à l’histoire de son journal Atem. Toutes ces belles histoires de musique n’en font qu’une seule…

