Theo Croker ou la quadrature du jazz
Nancy Jazz Pulsations 2025 # Mouvement VI – Samedi 18 octobre, Théâtre de la Manufacture : Persuasive, Theo Croker.
Theo Croker © Jacky Joannès
Clap de fin pour Nancy Jazz Pulsations dont les soirées jazz au Théâtre de la Manufacture ont connu un réel succès, faisant salle comble la plupart du temps. Ce dont ont pu profiter pour leur plus grand plaisir le groupe Persuasive et le trompettiste Theo Croker. Reste à établir le bilan du festival (on évoque plus de 35000 entrées payantes pour 150 concerts environ) et à dessiner les contours de la prochaine édition, imaginée sans doute par un·e directeur·ice qui devrait être prochainement recruté·e. Affaire à suivre…
Notre camarade Franpi Barriaux avait souligné à juste titre toutes les qualités de l’album Aero signé en 2024 par le groupe Persuasive, une formation emmenée par Jean-Baptiste Berger et dont la dimension internationale mérite d’être soulignée. Aux côtés du saxophoniste clarinettiste, on trouve en effet l’Allemand Roman Babik au piano, le Belge Lorenzo Di Maio à la guitare et le Luxembourgeois Jérôme Klein à la batterie ; sans oublier celui qui est aussi un illustrateur et un ethnomusicologue, le bassiste Tommaso Montagnani, un Italien quant à lui. Ici, les amitiés s’affranchissent des frontières et pour celles et ceux qui ne connaissaient pas l’univers de Persuasive, le concert de NJP aura sans doute été une belle surprise. Car, nonobstant quelques soucis techniques liés au micro du bec de son saxophone, Jean-Baptiste Berger et ses camarades vont très vite faire valoir toutes les qualités déjà identifiées sur disque. Un raffinement des compositions et un véritable soin apporté à la construction mélodique (ainsi, « Glen Navis » magnifiquement porté par la clarinette basse du leader, sans doute le plus beau moment de cette heure de musique), l’instauration d’un climat d’une réelle douceur qui jamais ne verse dans la mièvrerie, tant s’en faut. La complicité instrumentale entre Jean-Baptiste Berger et Lorenzo Di Maio est un constant régal. Persuasive raconte des histoires, projette des images voyageuses dans le temps comme dans l’espace. Magellan est invité tout autant que le sommet de l’Écosse. La musique est pleinement habitée, chaleureuse et apaisée, le concert du groupe étant bien scénarisé jusqu’à un final explosif aux couleurs presque pop (« Shine Shine My Little Star »). On se dit qu’on repartirait volontiers en voyage aves ces cinq-là. L’invitation est lancée.

- Jean-Baptiste Berger (Persuasive) © Jacky Joannès
Le programme annonce « nujazz » pour définir le concert de Theo Croker. Ce qui, convenons-en, au-delà de l’étiquette fourre-tout, ne signifie pas grand-chose, en particulier pour ce trompettiste quadragénaire qui est, comme bon nombre de ses pairs, un musicien pleinement ancré dans son époque. On le retrouve sur scène, vingt-quatre heures après son passage éclair ici même à l’invitation de Tyreek McDole, entouré d’Idris Frederick (piano), Eric Wheeler (contrebasse) et Miguel Russell (batterie). Tous les quatre vont parcourir le répertoire du dernier album de Theo Crocker (Dream Manifest - Dom Recs, 2025). Croker, sans cesse en mouvement, passe de la trompette à ses machines qu’il utilise à la façon d’un designer sonore. Ainsi, il peut faire surgir des sons ou des voix (comme celle de… Tyreek McDole, de retour à ses côtés mais de manière subliminale cette fois). Le groupe fonctionne comme une véritable embarcation à même d’explorer un univers musical qui paraît infini, entre grands espaces où les claviers peuvent vous emporter vers un post-jazz rock assez planant et des contrées plus mouvementées, très dansantes souvent, sous les impulsions d’une rythmique particulièrement en verve. Ces musiciens accomplis savent tout faire et le font bien. Ils offrent une vision syncrétique et expérimentale de la musique afro-américaine (hip hop ou R&B inclus), emmené par un trompettiste – nul besoin de dire ici à quel point son jeu est d’une grande luminosité et d’une parfaite fluidité - dont la quête spirituelle et créative est bien connue depuis quelques années, en particulier depuis son album Star People Nation en 2019 [1], dont il interprétera une composition (« Subconscious Flirtations And Titillations »). En conclusion, histoire de rappeler au besoin que ces musiciens savent parfaitement d’où ils viennent et ce qu’ils doivent à leurs illustres aînés, Theo Crocker reviendra pour un rappel, seulement accompagné d’Idriss Fredericks au piano, le temps d’une version particulièrement émouvante, comme suspendue, de « My Funny Valentine ». Ainsi, le monde musical du trompettiste se trouve parfaitement inclus dans l’histoire du jazz.

- Theo Croker © Jacky Joannès

