Ganavya, Femi Kuti : love on the (afro)beat
Nancy Jazz Pulsations 2025 # Mouvement I – Jeudi 9 octobre, Salle Poirel : Ganavya, Femi Kuti.
Femi Kuti © Jacky Joannès
Samedi dernier, le Nancy Jazz Poursuite – soit une multitude de concerts donnés dans les bars de la ville – a donné le coup d’envoi de la 49e édition de Nancy Jazz Pulsations [1]. Il faut savoir pour commencer que le festival connaît une période de transition, après le départ de son directeur, Thibaud Rolland et la nomination d’un nouveau président, Yves Colombain, qui prend la suite de Claude-Jean Antoine, personnalité historique de ce temps fort musical dont il est l’un des fondateurs.
Quoi qu’il en soit, la fête bat désormais son plein dans les différents lieux qu’on connaît de longue date : Chapiteau et Magic Mirrors au cœur du Parc de la Pépinière, avant l’entrée en scène de l’Opéra, du Théâtre de la Manufacture et de la Salle Poirel. Avec pour pimenter le tout quelques annulations ayant légèrement bouleversé la programmation (Rhoda Scott ou Salif Keita par exemple) et mettant à rude épreuve une équipe organisatrice qui n’en garde pas moins le sourire et se met au service d’une quinzaine dédiée aux musiques, au sens le plus large possible du terme. Il n’est pas question que de jazz du côté de NJP, même si pour ce qui nous concerne c’est ce versant du festival sur lequel nous ne manquerons pas de nous pencher au fil de quelques soirées dûment choisies (partant du principe que nous ne sommes pas dotés du don d’ubiquité).
Ce devait être une soirée intime et recueillie, mais les circonstances en ont décidé autrement. Pour sa deuxième soirée [2], entre spiritualité et déferlement, la salle Poirel s’est risquée à l’exercice du grand écart stylistique que le public de Nancy Jazz Pulsations a finalement savouré à sa juste mesure, sans souffrir de la moindre courbature.
Bien que née dans le Queens à New York, la chanteuse Ganavya a grandi au Tamil Nadu (un état du sud est de l’Inde), où elle a été initiée dès son enfance au harikatha, cet art mêlant chant, musique et récits spirituels. Elle a par ailleurs étudié le chant carnatique et sa démarche spirituelle se caractérise par une dimension minimaliste et introspective. Récemment, elle a publié un hommage à Alice et John Coltrane (Daughter Of The Temple, 2014) puis Om Nimal (2025), qui explore la poésie dévotionnelle tamoule (et sera au programme de la soirée). Côté collaborations, Ganavya a eu l’occasion de travailler avec des figures majeures telles qu’Esperanza Spalding, Quincy Jones, Wayne Shorter, Immanuel Wilkins ou encore Vijay Iyer. Tout récemment, elle participait à The Nine Jewelled Deer, un opéra de Sivan Eldar mis en scène par Peter Sellars et présenté au Festival d’Aix-en-Provence.

- Miriam Adefris, Ganavya, Max Ridley © Jacky Joannès
Voilà pour la carte de visite d’une musicienne très attachante qui se présente en trio, presque sur la pointe des pieds : elle est entourée de Max Ridley à la contrebasse et de Miriam Adefris à la harpe. Il faut évoquer ici la notion d’élévation pour bien comprendre ce qui va s’apparenter à un véritable envoûtement, porté par l’idée que le chant est une prière et que la prière est amour (ce que la chanteuse dira dans sa seule intervention en français). Et si on sait que cette musique est extrêmement codifiée, elle laisse par ailleurs une large place non seulement à l’improvisation (avec un fascinant travail de modulation des notes) mais aussi au silence et à ce qu’on pourrait appeler un « entre notes » pendant lequel on retient son souffle. C’est un formidable exercice de suspension du temps – marqué parfois d’un simple claquement de doigts – qui nous est offert, un moment de recueillement et d’apaisement suscitant à n’en pas douter une émotion collective. « Love Is Everywhere », comme on a pu l’entendre dans la dernière composition jouée par le trio.
Autant dire que ce qui va suivre est tout sauf minimaliste et recueilli. L’idée première de la soirée étant sans doute celle-là, pourtant, avec la venue annoncée de Salif Keita dont le dernier album, So Kono, est lui-même objet de recueillement. Mais voilà, pas de visa, pas de Salif Keita, ou vice versa, c’est comme vous voudrez… Son premier remplaçant, le chanteur angolais Bonga, ayant dû également déclarer forfait, pour raisons de santé cette fois, c’est à une légende de l’afrobeat que Nancy Jazz Pulsations a fait appel, en la personne du Nigérian Femi Kuti (fils de Fela Kuti, lui-même légende et père de l’afrobeat) qui aura dû ajouter la ville de Nancy à sa propre tournée en cours.

- Femi Kuti © Jacky Joannès
Car c’est un véritable déferlement auquel nous sommes tous conviés, et chacun sait d’emblée qu’il en aura plein les yeux et les oreilles. Ils sont douze sur scène, arborant des tenues multicolores : trois chanteuses danseuses, une section de soufflants, batterie et percussions, claviers, guitare, basse. Une véritable frénésie gagne la scène dès les premiers instants du concert, sous les injonctions du maître de cérémonie qui guide le tout de sa propre chorégraphie, presque stroboscopique. On ne l’arrête plus : Femi Kuti – au chant, au saxophone alto et parfois aux claviers – est animé d’un impressionnant mouvement perpétuel, aux commandes d’une « machine à beat » parfaitement huilée, d’une précision diabolique (c’en est presque trop parfois). Lui aussi délivre un message d’amour, incitant chacun d’entre nous à puiser dans ses propres ressources pour trouver un chemin vers un avenir meilleur. Mention spéciale aux trois danseuses (dont la propre épouse de Femi Kuti) qui auront assuré à elles seules un spectacle très chaloupé et volontiers sensuel. Dire que le public a été soulevé n’étonnera donc personne. Il a aussi été assez vite convié à quitter la salle dès les lumières éteintes. Mais ceci est une autre histoire…
À suivre dans un prochain chapitre.

