Scènes

Anglet, l’été indien, le jazz

Retour sur l’édition 2018 de l’Anglet Jazz festival


Tilo Bertholot. Photo : Pierre Vignacq

Compte rendu des concerts de Sylvain Luc et du trio de Grégory Privat

On grimace bien sûr aux gouttes (ce seront les seules du week-end) qui mouillent ce vendredi soir de septembre l’esplanade Quintaou. En revanche, quand on pénètre dans la salle, environ 750 places dont peu sont inoccupées, c’est une autre histoire. L’amphithéâtre de sièges qui domine la scène, l’acoustique, le visuel, mélange chic de rouge et de noir, tout est impeccable. Dans le public, les tempes sont grisonnantes. Rien de bien original, c’est le lot de bon nombre de festivals de jazz.

Sylvain Luc et Marylise Florid par Pierre Vignacq

On sent, on pressent que les spectateurs sont, pour la plupart, connaisseurs. Si Sylvain Luc est d’origine bayonnaise, ce n’est pas le local de l’étape que le public est venu écouter. C’est le guitariste et, mieux encore, le musicien. La nuance est importante car on loue fréquemment sa virtuosité au risque de réduire son jeu à sa seule maîtrise technique. Marc Tambourindeguy, directeur artistique du festival, ne s’y trompe pas. Quand il annonce le concert, il souligne la musicalité du guitariste.

Sur la scène du Quintaou, Sylvian Luc est à l’aise. Il plaisante (onetaou, twotaou… quintaou), s’amuse du patronyme à consonance basque de Minino Garay. L’ambiance est détendue, familiale ainsi qu’en témoigne l’invitation à monter sur scène que lance Sylvain Luc à son frère Gérard. La formule choisie par les organisateurs y contribue évidemment. La carte blanche se prête en effet aux retrouvailles. Celles avec Minino Garay, percussionniste irradiant, puisque les deux musiciens se connaissent depuis 1988 ; celles avec Stéphane Belmondo puisque ceux-là relancent le projet « Ameskeri » ou encore avec Sly Johnson, même si le guitariste et le chanteur et beat-boxer croisent leurs musiques depuis moins longtemps.

Sur la scène d’Anglet, l’improvisation est là, au cœur, permanente. Elle est d’autant plus la bienvenue que les problèmes techniques s’invitent. Un « Brrrzzz » s’immisce en effet et perturbe la partie. Quoique… un, puis deux, puis trois techniciens vont trifouiller derrière l’ampli Fender ; cela ne suffit pas à déconcerter les musiciens. Ils s’en amusent. La guitare électrique n’est plus utilisable ? Et bien ce sera l’acoustique. Les retours rendent l’âme ? Les musiciens se rapprochent pour s’entendre en direct. On est vraiment comme à la maison.

La soirée n’avait pourtant pas débuté ainsi. La première partie fut en effet consacrée au duo avec la guitariste Marylise Florid. Les deux musiciens y ont joué un répertoire classique avec une grande part d’improvisation. Et ce dans le « respect de l’esthétique originale ». Les pièces de René Bartoli, de Joaquín Rodrigo, de Tárrega (« Recuerdos de la Alhambra »), tout fut aussi intense que le silence et l’attention dans la salle. On aurait pu entendre une mouche voler si celle-ci n’avait pas elle aussi été charmée par autant de délicatesse.

Gregory Privat par Pierre Vignacq

Le lendemain, c’est une autre esthétique qui prend place sur la scène. Mais c’est tout aussi fort car le trio de Grégory Privat est remarquable. Dès les premières mesures, en l’occurrence celles de « Family Tree », on perçoit qu’un petit quelque chose se passe. C’est subtil, une légèreté à peine infinitésimale, un souffle lilliputien. On pressent en fait que les yeux s’écarquillent et les bouches s’arrondissent. Autant de signes de sidération.

Les motifs rythmiques sont complexes, au point qu’on a du mal à en saisir la métrique. Mais peu importe : la salle entière s’abandonne au gré des thèmes limpides, des chorus inspirés. Aucune scorie ici. Tout est essentiel. Certes, Grégory Privat invitera le public à imiter à la voix quelques motifs improvisés mais ce ne sera qu’un instant.
Chris Jennings était annoncé sur le site du festival - lui-même remplaçait Linley Marthe qui a enregistré l’album - mais c’est Reggie Washington qui est à la basse, un « seigneur », dit Grégory Privat, ému. Mais Washington est en retrait. Vraisemblablement parce qu’il est novice sur ce répertoire. Ses yeux rivés sur les partitions en témoignent. Tilo Bertholot en revanche est prodigieux. Son jeu majestueux semble constituer un chorus d’un bout à l’autre du concert. Lui et Grégory Privat sont littéralement habités. D’ailleurs le registre de l’exaltation est là, omniprésent. Le rappel, convoqué par un tonnerre d’applaudissements et une standing ovation, est d’ailleurs consacré à « une prière pour obtenir les faveurs du soleil ».

Le lendemain, le festival se déplace sur le parc de Baroja. Sous un soleil généreux, l’ambiance est franchement bucolique. C’est un rendez-vous familial ou entre copains. On pique-nique, on boit un coup, on papote, enfants et adultes s’amusent. Au fur et à mesure que l’heure avance, le parc se remplit, les Angloÿs se sont en effet déplacés nombreux. La formule est moins favorable que le théâtre pour écouter la musique. Il n’en reste pas moins qu’entre le nouveau quartet de Jean-Pierre Como et le groove fantasque des Old School Funky Family, c’est une programmation de bonne facture qui se donne à voir et à entendre. D’ailleurs, qu’on tourne la tête d’un côté ou de l’autre, on voit un public ravi, souriant, détendu.