Chronique

Benedicte Maurseth

Hárr

Benedicte Maurseth (violon Hardanger), Håkon Mørch Stene (vibraphone, marimba, percussions, elg), Mats Eilertsen (contrebasse), Jørgen Træen (électronique), Rolf-Erik Nystrøm (sax), Stein Urheim (langeleik, harmonica, samples, dm)

Label / Distribution : Hubro

Joueuse de violon Hardanger (« hardingfele » en norvégien), Benedicte Maurseth vient de la musique traditionnelle et produit ici un album sensoriel à la croisée de la musique contemporaine et du jazz. Dès le morceau d’ouverture, « Augnast », marimba et contrebasse jouée à l’archet installent une écoute quasi méditative dans un climat rayonnant. Puis les autres morceaux s’agrègent et renforcent cette impression. L’intensité est partout, dans chaque son. La liste des musiciens qui portent ces neuf morceaux est impressionnante : Rolf-Erik Nystrøm au saxophone, Mats Eilertsen à la contrebasse, Håkon Mørch Stene et Stein Urheim qui jouent ensemble d’un large éventail d’instruments et incarnent le son des grands disques de la maison Hubro, sur lequel cet album paraît.

Inspiré de l’ « écosophie », présentée comme écologie profonde par le philosophe norvégien Arne Næss (versant plus radical que le même concept défendu par le Français Félix Guattari), sa volonté artistique est d’illustrer l’interconnexion entre les êtres humains, leurs activités artistiques, sociales et politiques et la nature, c’est à dire l’ensemble de la biosphère. Cette vision biocentriste de l’écologie récuse la valeur supérieure de l’être humain par rapport à la faune et la flore qui l’entourent, trop souvent envisagées comme des « ressources ». Ainsi, tout au long de l’album, les sons des éléments naturels et samples se mêlent aux sons des instruments, les soumettant parfois à une question sous-jacente : du bruit de l’eau, de pas, du vent, des bourdonnements d’insectes, des voix humaines et des cris animaux, quels sont ceux qui nous parlent le plus ? Le postulat peut paraitre naïf, le résultat est d’une puissance époustouflante.

Tous les sons enregistrés proviennent de Hardangervidda, région natale de Maurseth, dont « Hárr » est la montagne caractéristique. Les échantillons de voix humaines sont issus d’archives personnelles — par exemple sur « Kollasj II » il s’agit de l’arrière-arrière-grand-père de Bénédicte. Elles forment une poésie du commun. La violoniste ouvre son journal pour écrire un conte universel. Sa musique donne naissance à des paysages que l’on peut quasiment ressentir. Elle ne cherche pas à convaincre par la force, elle s’imprègne de la beauté de la nature et garde son authenticité quasi intacte dans des compositions qui respirent. Oui, les instruments acoustiques - on en dénombre onze en plus des samples et instruments électriques (guitares… ) - respirent par les pores de la peau de celui qui les écoute attentivement.

Maurseth réussit aussi parce que l’écriture est soignée : le couple formé par la contrebasse, jouée par Mats Eilertsen, impérial, et elle-même au violon dirige une narration nette et éblouissante. Une totale réussite dans le fond comme dans la forme. Un album indispensable et déjà une des plus belles parutions de cette année 2022. Il en faudra.