Chronique

Benoît Delbecq 4

Spots on stripes

Benoît Delbecq (p), Mark Turner (s), John Hebert (b), Gerald Cleaver (dm)

Label / Distribution : Clean Feed

Quartet américain pour Benoît Delbecq qui s’entoure de personnalités familières : aux côtés de Gerald Cleaver, il participe au trio mené par John Hebert (deux disques chez Clean Feed) tandis que Mark Turner était présent déjà sur Phonetics (Benoît Delbecq Unit, Songlines 2005). Rompus à la recherche constante d’un vocabulaire neuf autant qu’au prolongement d’un jazz historique, les quatre parcourent dix compositions du pianiste où l’on reconnaît immédiatement les caractéristiques de son travail autant que le soin apporté à les mettre en mouvement.

Évitant les paroxysmes, ils irriguent un monde étrange à la sonorité policée, sans aspérité apparente ni émotivité empathique. A l’instar d’un anti-Soulages transposé à la musique et déclinant une variation où les effets de lumière s’altèrent du gris foncé à des aplats plus éclatants, ils défendent un style blanc articulé autour de phrases biaisées.

Cherchant dans ce décentrage le moyen de voir jaillir un sens insolite, les harmonies venues du contemporain n’imposent pas une direction mais laissent planer un sentiment de suspens où des zébrures soudaines bousculent une logique déjà mise à mal. Parfois soutenues par les percussions préparées du clavier, les micro-décalages entre le piano et le saxophone entretiennent, quant à eux, une imprécision choisie qui laisse à l’auditeur le moyen de s’immiscer dans cet imaginaire.

Volontairement effacées, les structures solides des pièces dévoilent au fil des écoutes une multiplicité d’états et permettent aux interprètes de prendre de nombreuses initiatives, privilégiant les couleurs et l’expressivité. Puissant dans son jeu de cordes, John Hebert ancre la formation dans une profondeur qui peut, au besoin, virer au remous et apporte à la surface du son des déclivités roulantes que l’intelligence aiguisée de Gerald Cleaver vient contrebalancer par un jeu d’ornements féconds d’une grande musicalité. Comme en retrait au départ, les interventions de Mark Turner, sans doute plus abstraites, gagnent peu à peu en implication. Son timbre droit et sensuel devient la figure gémellaire du pianiste, qui signe là un disque d’une parfaite cohérence qui distille - sans s’imposer - les saveurs d’une épure tonique et envoûtante.

par Nicolas Dourlhès // Publié le 20 mai 2018
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