Chronique

David Binney

Out of Airplanes

David Binney (as), Bill Frisell (g), Craig Taborn (p, org, synth), Eivind Opsvik (b, glockenspiel), Kenny Wollesen (dm, perc), Adam Rogers (g)

Label / Distribution : Effendi Records / Abeille

Il a souvent été fait mention de David Binney au sein de ces colonnes, toujours en qualité de sideman de luxe. Out of Airplanes offre cette fois-ci l’occasion de mettre en lumière le chemin personnel tracé par l’altiste new-yorkais, chemin qui s’apparente ici à un carrefour d’ambiances et de personnalités musicales.

Dés le début (l’improvisation « Brainstorms ») on a l’impression de se retrouver sur une autoroute urbaine, de nuit. Ou mieux encore, sur une route sinueuse, genre Mulholland Drive. Le climat général surprend vite. Sombre, tendu, teinté de la froideur mystérieuse qui pouvait entourer les groupes de rock des années 80. Il faut dire qu’en termes de sonorités rock, Out of Airplanes expose un Bill Frisell à la guitare aussi acérée qu’à l’époque de Naked City. Plus encore, ses classiques interventions d’électron libre se muent parfois en murs sonores vertigineux, parois de larsen aussi abrupts que chez Sonic Youth (sur « Contributors » ou la fin du morceau-titre).

Cette composante sauvage et animale cache d’autres facettes d’une certaine modernité. Quelques plages proposent des climats futuristes (« The Forgotten Gems », le début d’« Instant Distance » et surtout « Bring your Dream »), sans thèmes apparents et ponctuées de motifs mouvants. Radiohead n’est pas loin. Et puis, comme dans quelques films d’anticipation, le mouvant incertain peut recouvrir son visage d’une émouvante blondeur. David Binney n’évite ainsi jamais le recours à la tendresse, voire au sentiment, bien servi en cela par le jeu très particulier de Craig Taborn. « Jan Mayen », par exemple, est l’archétype de la ballade romantisante, à la limite de la faute de goût. Mais les accords profonds, imperturbables du pianiste, les nappes éthérées de l’organiste, guident le groupe sur la corde raide qui surplombe le cours de la guimauve. Du grand art.

Et puis on trouve aussi tous les aspects obsessionnels qui hantaient déjà South, des riffs minimalistes comme celui de « Home » sur quatre accords dépouillés, les nombreux thèmes répétitifs de « Out of Airplanes », sommet grandiose de plus de dix minutes. On pourrait voir dans ces morceaux entêtants un pur prétexte à l’improvisation, mais ce terme est encore trop connoté « jazz ». Car même si Binney est ici le principal soliste - c’est son disque, faut il le rappeler ! – au jeu virtuose et inspiré, dans la tradition breckerienne qu’on lui connaît, il ne se met jamais en avant comme le ferait un altiste de hard-bop, mais crée un dialogue permanent avec Frisell et Taborn. « Jan Mayen », « Out of Airplanes » en sont la plus parfaite illustration : véritable tour de force que de tenir en haleine l’auditeur à travers des structures harmoniques ou thématiques aussi décharnées.

« Instant distance » vient clore le disque sur un motif obsédant qui semble sorti de Rencontre du Troisième type. Une fin en suspension, parfaite, qui annonce peut-être une filiation musicale fertile pour ce disque au langage novateur. Pour autant, la relative brièveté du disque rappelle aussi la fulgurance des œuvres brillantes mais souvent éphémères. Au-delà de ces spéculations, le disque tournera encore longtemps pour satisfaire l’auditeur insatiable…