Chronique

Dmitry Baevsky

Down With It

Dmitry Baevsky (as), Jeremy Pelt (tp sur 4, 5, 7 & 8), Jeb Patton (p), David Wong (b), Jason Brown (dms)

Label / Distribution : Sharp Nine Records

On peut plonger à deux oreilles dans le dernier opus de Dmitry Baevsky, qui réveille pour la circonstance une dizaine de standards de référence. Avec lui, quatre musiciens séduits également par cette relecture qui efface les années.

Down With It n’est pas seulement un hommage à la tradition (bebop), aux grands prédécesseurs. C’est aussi une volonté de montrer que cette façon d’ausculter des standards ou des compositions moins familières conserve tout son intérêt. Et le solide quintet réuni par Baevski adhère totalement à ce qui est moins une relecture qu’une réelle appropriation : l’intro de « Shabuzz », un thème de Gigi Gryce, est là pour en montrer la finesse. « Down With It », de Bud Powell, qui introduit l’album, résume à lui seul l’esprit et la volonté de ce jeune musicien débarqué de Saint-Petersbourg aux Etats-Unis il y a quinze ans. L’attaque est effilée comme une lame de rasoir, les dix mains obéissent au doigt et à l’œil sur un tempo échevelé digne de l’époque. Un traitement qui repose sans doute sur une conviction solide : le bop est bien un tournant fondamental et sa rudesse joviale n’a pas pris une ride. Et « We See » (Thelonius Monk), restitue à merveille l’atmosphère déroutante qui marquait le jeu et les compositions de son auteur. Baevsky met en avant Jeb Patton, pianiste méticuleux aux interventions pleines d’à-propos et de retenue qui s’est illustré aux côtés d’une pléiade de pointures contemporaines (Rufus Reid, Jackie McLean, Steve Nelson etc.).

Ce n’est évidemment pas un hasard si au fil des thèmes, rapides ou « balladiens », le chef de file a opté pour des compositions mettant le quintet en valeur. Monk au piano ? Arrive « LaRue » de Clifford Brown qui permet de goûter à la trompette de Jeremy Pelt, vu aux côtés de Lonnie Plaxico ou Cedar Walton et repéré par Roy Hargrove, qui l’a intronisé dans son propre big band. Ici la trompette sensuelle, décontractée, joue et se joue du saxophone. Pas de deux ou chat et souris ? Aucun effet superflu, pas de redites qui laissent retomber l’attention : ce bop-là a subi une cure d’amaigrissement. Moins gai qu’il y a un demi-siècle - lorsque cette musique balayait tout sur son passage -, et souffrant peut-être d’un peu trop de sérieux et d’application, ce troisième album montre toutefois à quel point le jeune saxophoniste est habité par cette musique qu’il épouse à bras le corps.

Exercice obligé ? Baevsky s’attaque également à deux ballades, « Mount Harrissa » (Ellington) et « Last Night When We Were Young ». Le piano-bar n’est pas très loin, certes, mais il en profite pour donner à son jeu de nouvelles nuances et restituer une décontraction évoquant Stan Getz en dansant, agile, sur la contrebasse du sobre David Wong, autre artisan familier de la scène américaine. Ajoutons que Sonny Rollins est évidemment cité à comparaître via un « Decision » restitué à la perfection, et qu’après « Down With It », Baevsky invoque Bud Powell pour un joli « Webb City » avant de nous quitter sur un « I’ll String Along With You » réussi.