Chronique

Florian Pellissier Quintet

Bijou Voyou Caillou

Christophe Panzani (ts, ss), Yoann Loustalot (tp, bugle), Florian Pellissier (p), Yoni Zelnik (b), David Georgelet (dms) + Roger Raspail (perc), Erwan Loeffel (perc), Arthur H (voc), Anthony Joseph (voc)

Label / Distribution : Heavenly Sweetness

C’est agréable, cela devient une sorte de rendez-vous. Depuis 2012 nous arrivent à échéance régulière les disques du quintet de Florian Pellissier, avec leurs visuels noirs et bleus sur fond blanc, pour ceux du moins qui sont impeccablement packagés par le label Heavenly Sweetness. Ils affluent, donc, comme autant de promesses d’un beau moment de jazz durant lequel le curseur se déplace, entre classicisme et modernité, entre swing et groove, entre surprises et refuges identifiés. Après Le diable et son train, Biches Bleues, Cap de Bonne Espérance et Lost Myself, un disque en collaboration avec la chanteuse Shola Adisa-Farrar , voici Bijou voyou caillou, où l’on retrouve ce son d’ensemble qui nous est désormais familier, descendant des grands frères américains mais délicieusement parfumé aux essences d’aujourd’hui. C’est assez inexplicable mais c’est ainsi, ce quintet est l’un des nôtres, d’ici et de maintenant, mais il sonne un peu comme ceux d’avant et de là-bas, ce que l’on adore.

Il y a donc dans ce disque quelques épisodes où se rappellent à notre bon souvenir les bienfaits des canons du hard bop quand il swinguait avec puissance ou s’adoucissait au contact de la soul. Ainsi, à plusieurs reprises, le quintet fait fructifier son héritage, comme sur « Espions », une composition dans l’esprit de Wayne Shorter ou tout est lyrique et dansant – à commencer par le magnifique solo de soprano de l’excellent Christophe Panzani - ou comme sur « Coup de foudre à Thessalonique », plutôt cette fois dans l’esprit des grooves légers que pouvaient proposer Lee Morgan ou Horace Silver. Autour de ce thème porteur d’une délicieuse nostalgie avec ses accords en 8 mm, Yoann Loustalot prend un solo de bugle très chantant, avec sa sonorité ouatée. On rangera aussi au rayon des regards dans le rétro une version, ramassée mais pleine de surprises, de « Colchiques dans les prés », durant laquelle Yoni Zelnik prend un solo qui fait honneur à sa sonorité magnifique, avant qu’une explosion de phrases entremêlées n’emporte le morceau vers son aboutissement.

D’autres morceaux, et notamment ceux sur lesquels figurent les invités, conservent au fond cet ADN mais y greffent ces petits « autre chose » qui confèrent à cet album un charme singulier. On citera en premier lieu, parce qu’elle est absolument irrésistible, la rencontre du quintet avec Arthur H. Une pièce en deux actes, où le groupe joue dans un premier temps une musique ajustée avec la précision d’un joaillier sur laquelle le chanteur laisse libre cours à sa poésie surréaliste, porté par un piano aérien et de subtiles ponctuations des instruments à vent. C’est ensuite le quintet qui embarque Arthur H sur ses terres, et le chanteur se fait un malin plaisir de donner la réplique, et évolue avec aisance en vocalises entre les grappes de notes du piano et les volutes du bugle. Un instant inattendu qui s’évapore dans une fin hallucinée où la machine s’emballe brièvement, avant une ultime suspension.

La présence sur quatre plages des percussionnistes Erwan Loeffel et Roger Raspail offre à la musique du quintet de belles perspectives, et ce dès les deux premiers titres, « Fuck With The Police » (un morceau remarquable qui met en lumière les talents de solistes des musiciens comme l’efficacité de la section rythmique, avec un David Georgelet très inspiré) et « South Beach » (plus intense), qui marquent un nouveau jalon pour le groupe en proposant une version augmentée du quintet, pourvoyeuse de nouvelles vibrations sans marquer de rupture avec ce que nous savions déjà de lui . Le phénomène s’intensifie en revanche considérablement lorsqu’à cette équipe s’ajoute le slammeur Anthony Joseph. Sa présence et son slam engagé modifient le chromatisme du groupe, contribuant à l’épaississement des rythmes, jusqu’à la transe.

Il faut saluer l’opiniâtreté de Florian Pellissier qui nous offre ici un cinquième disque (c’est assez rare pour être souligné) avec un effectif inchangé. Ce n’est pas un hasard si la musique paraît si évidente. Le quintet tourne comme une horloge bien réglée et cela impacte positivement la clarté des développements, l’énergie collective et les qualités individuelles. Ce qui fait qu’on ne saurait que trop recommander ce petit bijou. Voyou. Caillou.