Chronique

François Bréant

La Nuit des lapins géants

François Bréant (kb, acc, perc, voc, balafon), Daniel Beaussié (cl, clb), Jean-Lou Descamps (vln, alto), Thomas Dalle (perc, effets), Nicolas Guéret (ts, ss), Christian Martinez (tp, bugle).

Label / Distribution : Assai Records

40 ans ! Il aura donc fallu quatre décennies exactement pour que François Bréant donne une suite à deux albums gravés dans les mémoires de celles ou ceux qui avaient aimé chez le claviériste une itinérance à forte connotation cinématographique, dans le sillage du rock progressif (et plus) et de formations au sein desquelles il s’était illustré auparavant (Cruciferius, Nemo, …). Il y avait d’abord eu Sons optiques en 1978, puis Voyeur extra-lucide l’année suivante. À ses côtés, quelques pointures comme Didier Lockwood, Jean-Michel Kajdan, Jean-Louis Chautemps, Albert Marcœur, sans oublier des voix en provenance de la planète Magma, telles celles de Klaus Blasquiz ou Stella Vander. L’imaginaire de François Bréant était coloré, ludique et tendre à la fois. Il nous manquait, il faut bien le dire, à nous tous qui scrutions (et écoutons toujours) ces deux vinyles en forme de diptyque définitif.

On ne peut donc que remercier chaleureusement Bertrand Lajudie et Stéphane Chausse, qui veillent sur le label Assaï Records, de lui avoir offert la possibilité d’un troisième épisode qu’on finissait par ne plus espérer. Il est vrai qu’entre temps, Bréant n’avait pas manqué de travail : Bernard Lavilliers, Alain Bashung, Jacques Higelin, Hubert-Félix Thiéfaine ou Salif Keita ont eu en commun la bonne idée de s’assurer son concours, de même que quelques cinéastes (Jacques Rivette notamment). De quoi être très content pour lui mais… tout de même, on aurait volontiers goûté à nouveau à la fraîcheur de son univers bariolé.

Avec sa pochette et son titre de film fantastique de série B un tantinet rétro, La Nuit des lapins géants ne déçoit pas, tant s’en faut. Par instants, on se dit même que toutes ces années ont été effacées d’un coup de baguette magique. La virtuosité joyeuse de François Bréant est au rendez-vous, chacune des douze compositions se présentant – et en cela, le disque est dans la continuité de ses prédécesseurs – comme une invitation à y projeter soi-même des images. Les sources d’inspiration sont multiples, souvent ancrées dans le quotidien (en terrasse, sur la plage, pendant une sieste, en compagnie d’un chat…) et la contemplation des beautés de la nature. Chaque moment de vie semble un point de départ possible à la naissance d’une mélodie affranchie des styles. Tout cela file à la vitesse de l’éclair, on ne s’ennuie pas un seul instant et on se laisse embarquer dans un grenier aux évocations sonores à la tendre poésie desquelles il est inutile de vouloir échapper. Quant aux musiciens qui entourent l’organisateur de ce « bric-à-brac » un peu fou, s’ils ne sont plus ceux des deux premiers disques, ils trouvent naturellement leur place dans cette petite folie dont François Bréant affirme qu’elle n’est ni classique, ni jazz, ni world, ni rock progressif mais… quand même un peu. De quoi démontrer que la théorie du « en même temps » peut revêtir parfois des atours séduisants.