Chronique

Frédéric Monino

Around Jaco

Frédéric Monino (b), Lionel Suarez (acc), Stéphane Huchard (dm), Olivier Ker Ourio (hca), François Jeanneau (ss), Franck Tortiller (vib), Louis Winsberg (g), Thomas de Pourquery (as)

Label / Distribution : DOM

Autour de Jaco. Au fil de l’écoute, le choix du titre sonne comme une évidence : il ne s’agit pas d’un simple hommage au plus célèbre des bassistes électriques, à celui dont dit qu’il y a un « avant Jaco » et un « après Jaco ». Il s’agit bien d’une exploration du patrimoine Pastorius, d’une relecture et d’une ouverture d’horizon. Respecter l’héritage tout en affirmant sa propre identité.

On retrouve donc l’esprit de Pastorius, notamment à travers le choix des morceaux : on compte huit compositions du bassiste sur les dix titres de l’album, dont plusieurs sont issues du célèbre disque éponyme Jaco Pastorius (1976) : « Continuum », « Speak Like Child / Kuru » ou encore « Used to be Cha-Cha ». Les deux titres restants, « Round Trip / Broadway Blues » d’Ornette Coleman et « Bright Size Life » de Pat Metheny sont eux aussi emblématiques car ils figurent sur l’album Bright Size Life du guitariste, un des tout premiers disques sur lesquel on peut entendre le « son Pastorius ».

Mais au-delà de ce répertoire, c’est l’approche de Frédéric Monino qui se révèle passionnante, par le choix de ses arrangements et des instruments des invités. En effet, le trio de base formé de l’association de la basse, de l’accordéon
(Lionel Suarez) et de la batterie (Stéphane Huchard) est déjà en soi un gage
d’originalité, offrant une sonorité globale relativement éloignée du son Pastorius
habituel, et ce dès le premier morceau, « Continuum » : si la basse fretless de Monino évoque immédiatement celle de Jaco, les nappes d’accordéon et l’exposition du thème à l’harmonica toute en retenue et en omission sont une illustration parfaite de l’appropriation et de la perpétuation. Comme si le titre du morceau avait été choisi pour cet arrangement : « Continuum », ou l’évolution dans la continuité. Et le fait d’entendre ensuite, un peu plus loin dans l’album, l’harmonica, le vibraphone ou encore la cithare confirme bien la grande créativité qui règne dans cet enregistrement. Car ces différents instruments ne sont jamais utilisés dans un seul objectif d’exotisme, mais bien dans un souci d’exploration et de modernité.

Les autres titres sont donc eux aussi l’occasion d’entendre des arrangements inventifs et inédits. Le fameux « Teen Town » est repris à un tempo plus rapide que l’original par le trio et Louis Winsberg en invité, qui bénéficie d’un large espace
d’improvisation après que Monino et Suarez ont exposé à l’unisson le thème à la basse et à l’accordéon wah-wah. Sur « Liberty City », Lionel Suarez retrouve l’esprit de big band original du morceau par son attaque instrumentale particulièrement dynamique. Le mariage du vibraphone et de l’accordéon procurent à la mélodie de « Bright Size Life » une fraîcheur et une légèreté inattendus.

Une des autres caractéristiques de Jaco Pastorius était sa grande maîtrise instrumentale ; Frédéric Monino a lui aussi emprunté la voie de la virtuosité, et s’il ne profite pas d’un disque en leader pour exposer celle-ci de manière purement démonstrative, l’album recèle tout de même quelques superbes improvisations, notamment sur « Use to Be a Cha-Cha » ou encore sur « Punktroduction », un duo basse - batterie faisant office d’énergique entrée en matière de « Punk Jazz ».

La pertinence des arrangements, la mise en retrait des individualités de chacun au profit de l’oeuvre collective, l’envie manifeste de jouer ensemble des standards du jazz moderne et de matérialiser une sorte de passerelle entre les jazz américain et européen contribuent à faire de ce disque ambitieux une
vraie réussite.