Chronique

Ginger Baker

Why ?

Ginger Baker (dms), Pee Wee Ellis (sax), Alec Dankworth (b, elb), Abass Dodoo (perc).

Label / Distribution : Motéma/Membran

D’autres que lui, à 74 ans, cultiveraient tranquillement les fruits de leur passé musical en racontant de belles histoires à leurs petits-enfants. Ginger Baker n’est pas de ceux-là. Pourtant, le batteur doit en avoir des souvenirs à partager avec ses proches ! Par exemple les aventures d’un power trio formé en 1966 avec Eric Clapton et Jack Bruce, ce Cream entré dans la légende et au sein duquel, dans un bras de fer virtuose avec ses camarades, il multiplia les exploits et les solos fleuves aux commandes de sa batterie à double grosse caisse. Il pourrait évoquer Blind Faith, autre super groupe, toujours avec Clapton mais aussi Stevie Winwood, une formation éphémère - qui précéda la naissance du Ginger Baker’s Air Force et son jazz rock - dont faisaient partie plusieurs membres du futur Traffic, formé par le même Winwood. Mais Ginger Baker avait d’autres amours, du côté de l’Afrique en particulier, comme en témoigne sa rencontre avec Fela Kuti à l’aube des années 70. Une passion qu’il n’a cessé de cultiver par-delà les années, et qui font de cette force de la nature, ainsi que le décrit le guitariste Carlos Santana, un des musiciens qu’on est heureux de (re)découvrir à chacun de ses retours au premier plan.

Ginger Baker est homme de fusion, à n’en pas douter, et par ce Why ? empreint d’une générosité assez vite contagieuse, on renoue le contact après un silence discographique d’une bonne quinzaine d’années. Au programme, du jazz bien sûr, mais trempé dans ce bain afro-caribéen qui lui va si bien. Quelques compositions originales côtoient des reprises, dont « Footprints » de Wayne Shorter et « St. Thomas » de Sonny Rollins, prouvant qu’il sait ce qu’il doit à ses inspirateurs, et pas seulement ses batteurs fétiches : Art Blakey, Max Roach, Elvin Jones. C’est toute une époque à la fois lointaine et vivante dans son cœur qui est ainsi célébrée, et soulignée par une prise de son parfaite. Autour de lui, trois musiciens en verve qui forment la Ginger Baker Jazz Confusion : Pee Wee Ellis au saxophone, connu entre autres par son travail avec James Brown ou Van Morrison, soit une assurance qualité de premier ordre ; Alec Dankworth, Londonien dont la contrebasse ou la basse électrique ont vibré aux côtés de Dave Brubeck, Clark Terry, Nigel Kennedy ou… Van Morrison, encore lui ; le percussionniste Abass Dodoo, quant à lui, joue ici le rôle de complément rythmique au jeu de Baker, ce qui pourrait, à première vue, relever de la une gageure, vu le pedigree du leader. Mais sa présence est en réalité beaucoup plus qu’un additif : une mise en lumière.

Baker va bien, il le fait savoir ici avec un album d’une force de conviction qu’on ne peut que saluer. Why ? n’est certainement pas le disque du siècle, ni même un tournant dans l’histoire du jazz, mais un appel d’air frais, à la fois sincère et nourricier en ce qu’il est habité à chaque seconde d’une profonde pulsion. L’âme de tout le quatuor est celle d’un batteur au jeu flamboyant qui continuer d’exercer une réelle fascination, à la fois par ce qu’il a été et par ce qu’il continue d’être. Un musicien sur la brèche, qui ne triche pas avec ses émotions. Pas plus qu’avec les nôtres.