Chronique

La Grande Forge

La Grande Forge

François Raulin (p), Emmanuel Scarpa (dm), Takumi Fukushima (vln), Fred Escoffier (keyb), Patrice Bailly (tp), Pascal Berne (b), Yves Gerbelot (saxes), Michel Mandel (cl, bcl)

Label / Distribution : Label Forge

Depuis quelques mois, le collectif La Forge-CIR [1], établi du côté de Grenoble, émaille le paysage musical hexagonal de disques marquants, via le label du même nom. Du Volume 2- d’Umlaut dirigé par le batteur Emmanuel Scarpa à l’Ostinato en solo du pianiste François Raulin, La Forge étale une palette à la fois large et bien identifiée, à l’image des compositions toujours évocatrices, hautes en images et en couleurs, de F. Raulin, animateur plus que leader d’un groupe ou l’individualité se met toujours au service du collectif. L’idée directrice se retrouve au cœur de l’ardent octet la Grande Forge, qui propose une musique constamment en mouvement, entre progressions harmoniques chauffées au rouge, digressions sensibles, acidités électriques et puissance rythmique.

La paire Raulin / Scarpa signe la moitié des morceaux, et sa sensibilité se découvre au fil de l’album. C’est cependant à la responsabilité collective qu’est confiée cette Grande Forge, qui trempe le plus précieux des métaux : celui d’une improvisation sensible qui peut se tendre (« Témoin indésirable ») ou au contraire prendre les rondeurs tournoyantes de ces « Kinder au repas » que n’auraient pas reniées Nino Rota.

A l’image du temps fort de l’album, « Pollock Jackson » - et de l’œuvre du peintre, d’ailleurs - la musique se construit par strates de couleurs complémentaires, au fil des prises de parole, jusqu’à évoquer allusivement Ornette Coleman [2] dans les échanges entre le clarinettiste Michel Mandel et le saxophoniste Yves Gerbelot.

Ainsi, après une tirade efficace de Pascal Berne, élégant contrebassiste, les pizzicati secs et aigrelets de la remarquable Takumi Fukushima apportent de la profondeur avant d’être rejoints par les six autres et de repartir sur un échange intense entre Fred Escoffier (claviers électriques) et Patrice Bailly (trompette). De même, sur « Deux », signé Gerbelot, la construction rythmique complexe sur laquelle vient s’appuyer la puissance collective naît d’un fragile et délicat jeu de timbres entre les anches et les cordes.

S’il semble difficile d’extraire une individualité dans ce matériau imposant, il faut cependant noter la prestation vocale et instrumentale de la violoniste, Takumi Fukushima, qui semble rythmer à elle seule la température de l’ensemble. Quand La Grande Forge rougeoie sur le dévastateur « Vie Russe », elle porte le fer avec rage. A l’inverse, dans les moments plus vaporeux de « La Faim », au centre de l’album, comme une reprise de souffle sur la légèreté du piano de Raulin, elle susurre en japonais un poème qui fait vibrer ses cordes telles des gouttes d’archet.

La Grande Forge est haletante et chaleureuse, l’usinage artisanal est d’une grande précision. Le tout est une belle réussite collective qui, souhaitons-le, en appellera d’autres.

par Franpi Barriaux // Publié le 16 juin 2010

[1Pour « Compositeurs Improvisateurs Réunis ».

[2Après tout Jackson Pollock n’a-t-il pas participé à sa façon à Free Jazz ?