Scènes

La déclaration d’amour de Black Lives

Une évocation du concert du collectif Black Lives au Café de la Danse.


Black Lives © Fabrice Journo

Emmené par le bassiste Reggie Washington, le collectif Black Lives a fait une nouvelle démonstration de sa capacité à abolir les frontières. C’était le 19 novembre dernier et pour nous, le plaisir de retrouver cette quinzaine de musiciens dans une formule légèrement différente de celle que nous avions pu découvrir au mois de mai dans le cadre du Marly Jazz Festival.

Hervé Samb © Fabrice Journo

La soirée s’est déroulée en deux temps dans un enchaînement naturel, tant sur le fond que sur la forme, devant un public un peu plus clairsemé qu’on aurait pu l’imaginer compte tenu d’un casting prestigieux. Hervé Samb assurait le première partie, offrant un moment certes assez bref (une demi-heure) mais, sans doute du fait d’une concision imposée par le timing, un set urgent traversé d’une énergie particulièrement communicative. Autour du guitariste, Olivier Temime au saxophone ténor, son puissant et droit, et une rythmique qui n’allait pas quitter la scène puisque composée de Reggie Washington à la basse et de Sonny Troupé à la batterie, tous deux membres du collectif Black Lives (le bassiste en étant d’ailleurs le leader) attendu juste après. Hervé Samb dit avoir trouvé sa voie « dans la fusion entre l’Afrique ethnique et les musiques telles que le jazz, le rock , le classique ».

Quand on y songe, ce pourrait être là une sorte de définition de ce qui constitue le moteur stylistique de From Generation to Generation et de Black Lives, groupe à géométrie variable réuni autour de Reggie Washington (qui fut le partenaire, entre autres, de Roy Hargrove et Steve Coleman…), sous l’impulsion de Stefany Calembert-Washington, qui porte le projet à bout de bras. Ce que soulignait très bien Laurent Dussutour dans sa chronique du premier double album paru à la fin de l’année 2022, en même temps qu’il en rappelait les fondements : « L’épouse du bassiste Reggie Washington, ne supportant plus les crispations identitaires génératrices de racisme, envers les Noirs principalement, s’est lancée dans la production d’une compilation à même d’éveiller les consciences, en mobilisant notamment des artistes avec lesquels son mari travaille ».

Reggie Washington © Fabrice Journo

Musique de résistance donc, mais aussi belle déclaration d’amour lancée au public qui a pu, une fois encore, participer à ce qu’on n’hésitera pas à qualifier de communion. Ce que nous avions déjà pu vivre pleinement au mois de mai à l’occasion d’une prestation magistrale dans le cadre du Marly Jazz Festival. Black Lives, c’est une convergence de musiques en provenance d’Amérique, d’Afrique et des Caraïbes, sous la forme d’une fusion heureuse et très engagée dans un propos dont la force musicale tient aussi à son humanisme sous-jacent et revendiqué, qui n’exclut pas d’autres sources, jusqu’à de possibles influences en provenance d’Europe. Jazz, funk, hip hop, blues… tout cela mêlé dans le grand shaker d’une joie collective portée par la prise de conscience des injustices de notre monde.

Pierrick Pédron & Jacques Schwarz-Bart © Fabrice Journo

Mais ce grand ensemble est aussi un All Stars composé de musicien·ne·s chevronné·e·s, parmi lesquels on retrouve notamment Grégory Privat (piano), Jean-Paul Bourelly (guitare et chant), Gene Lake (batterie), David Gilmore (guitare). Signalons aussi l’arrivée d’un petit nouveau en la personne d’un certain… Pierrick Pédron au saxophone alto. Le Breton, tout auréolé de son formidable duo avec Gonzalo Rubalcaba, y semble aussi à l’aise qu’un poisson dans l’eau, croisant dans un grand sourire la force de son lyrisme avec celle de son partenaire Jacques Schwarz-Bart au saxophone ténor.

Black Lives, ce sont aussi des voix puissantes et charismatiques portées par le spoken word de Sharrif Simmons et son entrée en matière très politique (« We Are Here »), le funk rock brûlant d’Adam Falcon et les chants de Christie Dashiell ou Tutu Puoane. Cette dernière, originaire d’Afrique du Sud, portera l’émotion à son comble avec une version poignante de « From the Outside In » interprétée en duo avec Grégory Privat. On a hâte de découvrir la version qu’elle proposera dans son prochain album, Wrapped in Rhythm, où elle est entourée d’un trio belge haut de gamme pour chanter les textes de sa compatriote, la poétesse Lebo Mashile.

Christie Dashiell & Tutu Puoane © Fabrice Journo

Autant dire qu’en ce dimanche soir d’automne, tout est passé à la vitesse de l’éclair… Il y avait de la magie dans l’air et, osons le dire, beaucoup d’amour. C’est peut-être là l’une des plus belles conquêtes de Black Lives et, sans doute, la manifestation tangible de l’une des dernières aventures humaines qui, bien au-delà de la musique elle-même, mérite d’être vécue et défendue. Mais qu’on se rassure, le chemin ne fait que commencer : People of Earth, le deuxième chapitre des aventures discographiques de Black Lives, est annoncé pour le printemps. Rendez-vous à ne pas manquer, sur disque et surtout sur scène. C’est une vibration essentielle dont nous avons tous besoin en ces temps où les paroles de haine se répandent et menacent de laisser des traces indélébiles.

par Denis Desassis // Publié le 4 février 2024
P.-S. :

Black Lives : Reggie Washington (elb), Jacques Schwarz-Bart (ts), Pierrick Pédron (as), Grégory Privat (p), Federico Gonzalez Peña (kb), Jean-Paul Bourelly (g, voc), Adam Falcon (g, voc), David Gilmore (g), Gene Lake (dms), Marque Gilmore (dms, elec), Sonny Troupé (dmse), Tutu Puoane (voc), Christie Dashiell (voc), Sharrif Simmons (voc), Dj Grazzhoppa (platines).