Chronique

M. Stockhausen/A. Andersen/P. Héral

Electric Treasures

Markus Stockhausen (tp, elec), Vladyslav Sendecki (p, clav), Arild Andersen (b, elec) & Patrice Héral (d, perc, voc, elec)

Label / Distribution : Aktivraum

Voilà un disque qui ne va pas plaire à tout le monde. Qu’on songe en effet à la tête d’un snob à qui on proposerait au XXIe siècle d’écouter une trompette planante sur fond de synthés.

C’est ce qu’on appelle un casus belli. Markus Stockhausen, Arild Andersen et Patrice Héral n’en ont cure. Ces trois musiciens dans leur maturité, qui collaborent fréquemment depuis 1998, n’ont plus rien à craindre, ni à prouver. A titre d’exemple, la liste des collaborations du bassiste norvégien, auteur de nombreux disques en leader pour le label ECM, pourrait presque servir de pense-bête à qui voudrait se remémorer l’histoire du jazz à la fin du XXe siècle : cet élève de George Russell, remarqué par Don Cherry, influencé par Jaco Pastorius et accédant à la notoriété avec Jan Garbarek fut aussi l’accompagnateur de Sonny Rollins, Sam Rivers, Paul Bley, Steve Kuhn, dirigea des formations comprenant Jon Balke ou Juhani Aaltonen et joua et enregistra avec Alphonse Mouzon, John Taylor et Bill Frisell ! Au cours de la dernière décennie, son duo avec Patrice Héral, lui-même batteur du Vienna Art Orchestra et de l’Orchestre National de Jazz, s’est fait remarquer tant sur les disques du Norvégien qu’avec Markus Stockhausen.

Ce rapide passage en revue de la carrière d’Arild Andersen n’est pas inutile. Il montre à quel point il est versatile. Free jazz, jazz rock, ou jazz tout court : on voit bien qu’il n’aime pas être enfermé dans un genre. Il en va d’Electric Treasures comme de l’artiste : pas facile à étiqueter. Certes, la référence au Miles des années 80 vient vite à l’esprit. La musique de Niels Petter Molvaer aussi. Les nappes de synthétiseur n’y sont pas pour rien. Il faut dire que Vladyslav Sendecki, le claviériste polonais qui rejoint nos trois hommes pour ce concert donné en septembre 2007 à Bonn n’a pas décidé d’adopter profil bas. Les années 70 ayant mauvaise presse, on pensait que plus personne n’oserait jouer ainsi. On avait tort. Les véritables artistes ne craignent pas le mauvais goût. Au contraire, pourrait-on dire, ils savent en jouer et l’incorporer dans leur propre esthétique pour le sublimer. Enrobés d’une généreuse réverbération, les machines de Sendecki grondent, planent, glougloutent, éclatent en fanfare, quand elles n’affichent pas un délicieux parfum rétro.

Mais ce concert entièrement improvisé n’est pas un simple clin d’œil kitsch lancé par quatre virtuoses à une époque révolue. La rude exigence de l’improvisation produit bien quelques errances ou moments de vacuité, mais l’auditeur que n’effraiera pas la couleur d’ensemble discernera dans cette musique, dans la prolifération des textures et des climats, tout un monde de réminiscences qui le conduira de la pop au hip-hop (à travers des voix samplées ou celle de Patrice Héral), en passant par l’abstraction du free. Et surtout, il sentira la tension propre au live qui fait tout l’intérêt des bons disques en concert - une tension qu’on ne peut qualifier que d’électrisante, et d’autant plus efficace que, malgré l’improvisation totale, cette musique est construite. Elle alterne parfaitement le serré et le relâché, et mène avec sûreté à la conclusion sereine de la onzième et dernière pièce. Le goût de la mélodie, la pureté du son de Stockhausen planant sur la houle entretenue par le virtuose bassiste et le peintre-batteur n’y sont pas envahis par les machines et les effets contrairement à ce qui se passe parfois, malheureusement, sur les morceaux précédents.

Que cette réserve n’empêche pas l’auditeur assez sûr de ses goûts et indifférent au qu’en dira-t-on d’aller visiter ce disque atypique et très accessible.