Chronique

Mark Helias Matthew Shipp

The New Syntax

Mark Helias (cb), Matthew Shipp (p)

Label / Distribution : Rogue Art

Deux des activistes émérites des musiques créatives (et habitué pour l’un d’eux du label Rogue Art) se retrouvent en duo pour une partition vraisemblablement improvisée dans l’instant et enregistrée en 2020. Mark Helias, comme toujours, impressionne par la puissance de sa basse et la souplesse des sons qu’il en tire. Large et généreux comme des bras grands ouverts, il embrasse une technique étendue qui lui permet de renouveler constamment ses propositions avec une notable précision dans le jeu (en pizzicato comme à l’archet).

Cette forte présence génère d’ailleurs un dialogue équitable avec son partenaire pianiste. Depuis de nombreuses années, Matthew Shipp s’est engagé dans la voie d’une musique ouverte, s’appuyant toutefois sur une culture pianistique elle aussi imposante. Cette gymnastique lui permettant de se placer à la pointe la plus aventureuse de son savoir, il joue ainsi avec le bassiste une danse en mouvement où les corps musicaux, fruits d’un long partage d’expérience, se trouvent immédiatement et jouent l’un avec l’autre pour mieux faire naître un commun créatif. Aucun des deux ne prend le pas sur l’autre et si la chose arrive, elle est un jeu qui entraîne le propos général plus encore vers l’avant.

Car la force du duo est de ne pas s’appuyer sur des systèmes perceptibles, les deux musiciens ne semblant, en effet, pas avancer par tableau dont la modulation conduirait au tableau suivant. Bien au contraire, leur danse sonore est en anamorphose au long de ces neuf pistes, et dans une tension tonique, ils ne jouent pas de redite.

Toutefois, si un vocabulaire large est ici convoqué, il vient surtout alimenter une langue native qui le structure. Celui d’un jazz immémorial que Helias et Shipp pratiquent avec une conviction jamais démentie et participent à renouveler par un usage toujours vivant, voire, certainement pour ce qui les concerne - et par bien des manières, vital.

par Nicolas Dourlhès // Publié le 11 juin 2023
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