Chronique

Michel Portal

Radar – European Jazz legend vol 7

Michel Portal (clb, ss), Richie Beirach (p), WDR Big Band

Label / Distribution : Intuition

Après le pianiste allemand Alexander von Schlippenbach, le contrebassiste breton Henri Texier ou le pianiste italien Enrico Pieranunzi (et avant le contrebassiste tchèque Miroslav Vitous), c’est au tour de notre Michel Portal national d’entrer dans la légende. Avec Radar, le souffleur basque signe en effet le volume 7 de la série European Jazz Legends consacrée à certains des plus grands noms du jazz européen. Cette série d’enregistrements, initiée par le magazine de jazz allemand Jazzthing et soutenue par la radio germanique WDR3, propose des captations live enregistrées au Théâtre de Gütersloh suivies d’un entretien avec les musiciens.

Radar débute par trois improvisations de Michel Portal avec le pianiste américain Richie Beirach. La rencontre inédite de ces deux grands improvisateurs enchante dès les premières notes. Sur « Esquisse, Part 1 », le piano gracile de Beirach enlace la clarinette basse volubile de Portal. Les deux musiciens s’interpellent, se répondent. Unissons, contre-chants. Portal gimmique. Beirach renchérit. La cadence s’accélère pour mieux s’appesantir. Une mélodie se dessine puis s’en va. Durant les onze et quelques minutes que dure le morceau, on reste totalement soufflé par le lyrisme et la qualité d’écoute des deux musiciens. « Esquisse, Part 2 » débute par une introduction coloriste de Michel Portal au saxophone soprano. Beirach le rejoint dans un rag bancal sur lequel le saxophoniste peut lancer ses trilles hallucinés. Beirach prend alors un beau solo d’une remarquable virtuosité. Le morceau se clôt sur un habile jeu de passe-passe, le pianiste lançant quelques arabesques à la cantonade, aussitôt reprises à l’identique par Michel Portal. Pour leur dernière pièce intitulée « Esquisse, Part 3 », Portal enfourche sa clarinette basse et nous embarque dans de rageuses circonvolutions, soutenu par le piano pulsatile de Richie Beirach.
Suivent les relectures, plutôt anecdotiques, de deux anciennes compositions de Michel Portal, « Bailador » et « Dolce » (deux morceaux figurant sur le très réussi album Bailador paru en 2010 sur le label Emarcy), arrangées pour le WDR Big Band par le jeune pianiste et compositeur allemand Florian Ross. Les enluminures, contre-chants et autres effets de superposition gâchent quelque peu la substance originelle des morceaux. Reste tout de même les solos tranchants et enfiévrés de Portal tantôt au saxophone soprano, tantôt à la clarinette basse.

Quant à l’entretien mené par le journaliste allemand Götz Bühler, il nous fait entendre un Michel Portal détendu et disert. Il raconte avec malice et tendresse son enfance bayonnaise, sa solitude (qui ne le quittera plus), ses premiers pas de musicien, son goût pour les mélanges musicaux, son attachement au folklore et aux pratiques amateures. On l’entend, chose rare, plusieurs fois au piano pour mieux illustrer son propos. Il confesse également avoir de nombreux ennemis qui ne comprennent que trop peu son côté touche à tout, à cheval sur deux univers parallèles, le jazz et la musique classique. Il dit souffrir de n’être un membre à part entière d’aucune de ces deux familles. Certains trouveront sans doute qu’il cabotine. D’autres, à l’inverse, verront dans ces confidences une mise à nu au seuil de 80 ans de vie entièrement vouée à la musique d’où qu’elle vienne. Bref, comme toujours, Michel Portal divise. Il agace ou enchante c’est selon. Et ce n’est encore pas ce disque qui réconciliera les deux camps.