Chronique

Paul Bley Quintet

Barrage

Paul Bley (p), Marshall Allen (as), Dewey Johnson (tp), Eddie Gomez (b), Milford Graves (dm)

Label / Distribution : ESP/Orkhêstra

ESP, un des labels historiques du free jazz, a eu la bonne idée de lancer une série de rééditions de quelques-uns des albums historiques qui ont jalonné son histoire et, accessoirement, celle du jazz. Parmi toutes ces rééditions, se sont glissés quelques albums méconnus mais qui valent d’être redécouverts.

Parmi ceux-ci, on trouve le disque en quintette que Paul Bley enregistra en 1964 avec Marshall Allen (compagnon de route de Sun Ra), Dewey Johnson (présent notamment sur Ascension de Coltrane), Eddie Gomez et Milford Graves. Barrage est une œuvre de salubrité publique : Paul Bley est mésestimé et souvent catalogué de manière un peu simpliste à un mélange de Bill Evans et Keith Jarrett. Mais à l’écoute de ce disque, le pianiste canadien rappelle qu’il a joué un rôle important dans la naissance du piano moderne. La qualité sonore de l’enregistrement ne lui rend malheureusement pas service mais Bley prouve ici que sa musique est d’une belle modernité. Barrage est composé de 6 morceaux, tous signés par Carla Bley, n’excédant pas les 6 minutes chacun : on est donc en présence d’une musique marquée par l’urgence, où l’on va à l’essentiel.

L’énergie qui se dégage de cet enregistrement est importante et repose en grande partie sur la paire Gomez/Graves. Le matelas percussif proposé par Milford Graves et le jeu puissant et véloce du contrebassiste portent littéralement leurs compères. Graves est omniprésent, donnant l’impression d’être multiple. Johnson et Marshall ne sont pas en reste : tous deux sont très volubiles et utilisent des phrases puissantes qui renforcent encore l’impression d’urgence dégagée par la musique du quintette. On est là dans un champ d’expression très free, où chaque musicien est à la recherche d’une improvisation usant de tous les moyens pour s’exprimer : mélodie et lyrisme (notamment dans « And Now The Queen »), jeu sur le son, les fondus, sur l’énergie pure. Un autre élément marquant est l’interaction qui existe entre les différents musiciens. Celle qui lie Gomez et Graves en est l’exemple parfait (« Ictus », « Around Again »). Quant à Paul Bley, son jeu se situe ici dans une mouvance free, basée sur des séquences de notes courtes et percussives. Il semble porté par la batterie de Milford Graves… Il faut absolument écouter les premiers instants de « Around Again » pour découvrir en deux minutes la quintessence de ce que Bley peut réaliser avec Graves et Eddie Gomez. Bien qu’utilisant plus les lignes mélodiques que ses acolytes, le pianiste est clairement au diapason de la musique et de l’expressivité des quatre autres musiciens.

A noter que le morceau éponyme qui clôt l’album est un collage de différentes parties musicales réalisé par Carla Bley. Assez surprenant et novateur pour l’époque, même si cette technique a quelque peu vieillit.

Merci à ESP d’avoir exhumé cet album. C’en est malheureusement d’autant plus décevant de ne pouvoir profiter pleinement du jeu de Paul Bley, la faute à cette sonorité assourdie qui masque fortement le pianiste.