Chronique

Rifflet & Gordiani

Dooble

Sylvain Rifflet (sax, cl, fx), Philippe Gordiani (elec) + Thomas de Pourquery (voc), Bettina Kee (voc).

Label / Distribution : Magriff

Nul ne saurait reprocher à Sylvain Rifflet de se répéter. Qu’on en juge tout simplement par ses dernières productions discographiques. Elles démontrent une volonté d’exploration de paysages musicaux marqués par la diversité des couleurs et des sources d’inspiration (ReFocus, Troubadours, Rebellion(s) ou Aux anges). Toutefois, celles et ceux qui suivent de près le parcours du saxophoniste auront tôt fait d’identifier des points communs, à comprendre comme autant de repères sur un chemin dont on suit chacune des étapes avec curiosité (et délectation) depuis Beaux-Arts en 2012. Au-delà de sa volonté d’expérimentation et d’une curiosité constante, on peut souligner chez lui un attrait récurrent pour les musiques répétitives et des influences allant chercher du côté de Steve Reich ou Moondog.

Avec Dooble, Rifflet et son partenaire de longue date (Alphabet, Mechanics…) Philippe Gordiani placent un nouveau pion sur cet échiquier musical en « mouvement perpétuel ». Le guitariste délaisse pour un temps son instrument fétiche, histoire de se consacrer pleinement à un passionnant façonnage électronique (synthétiseurs analogiques, systèmes modulaires, samplers…) et d’élaborer avec son complice un environnement sonore qui n’est pas loin de faire penser à ce qu’on appelait autrefois krautrock (Kraftwerk, Klaus Schulze, Tangerine Dream) ou aux recherches d’un musicien tel que Richard Pinhas (au temps des albums Rhizosphère, Chronolyse ou Iceland par exemple). Loin d’être passéiste, leur démarche témoigne au contraire d’un appétit pour des pistes nouvelles, pour le franchissement des barrières et pour des mondes sonores invitant tout autant à l’introspection qu’à une forme presque mécanique de transe, aux confins de l’électro et de la techno. Pulsion des séquenceurs, mouvements circulaires du saxophone ou de la clarinette parcourant des compositions aux titres volontairement algébriques (de « INST 1.1 » à « INST 1.6 »), voix aériennes surgies du mystère ou imposant leurs allitérations (Thomas de Pourquery et Bettina Kee sont les invités de deux « Songs »), instillation çà et là d’événements sonores venant contrarier la linéarité des compositions, au prix parfois d’un « salissement » des textures (ainsi sur le très beau final au climat recueilli « INST 1.6 »). À chaque seconde sa surprise, l’ennui n’est donc pas de mise. Dooble s’avère le fruit d’une recherche humaine autant qu’artistique, il est en outre un objet musical « sui generis », création de deux inventeurs contemporains. Passionnant de bout en bout, on l’aura compris.