Chronique

Sylvain Rifflet

Troubadours

Sylvain Rifflet (sax, clar, shruti-box), Verneri Pohjola (tr), Benjamin Flament (perc)

Label / Distribution : Magriff

Sylvain Rifflet est comme ces personnages de bandes dessinées que l’on suit de volume en volume. « Sylvain Rifflet en Rocking-chair », « Sylvain Rifflet aux Beaux-Arts », « l’Alphabet de Sylvain Rifflet », « Moondog et Sylvain », les « Mechanics de Sylvain Rifflet », « Rifflet ReFocus » et les hors-série « ArtSonic en Italie », « ArtSonic au bal perdu »,« ArtSonic VS Electromaniac ».
Et quand on collectionne, on est toujours excité par la sortie du tout dernier tome : « Sylvain Rifflet et les troubadours ».

La comparaison ne s’arrête pas à cette liste hétérogène de projets passionnants et largement commentés (et primés par les académies ad hoc). Il y a aussi la scénographie. Car Sylvain Rifflet ne fait pas que de la musique, il met en scène. Grand manteau rouge pour les photos et les concerts de Mechanics, cordage et bleu dominant pour ReFocus, c’est toujours le photographe Sylvain Gripoix aux commandes. Et cette fois-ci, le voilà dans les bois, sur un cheval blanc, mi-cow-boy mi-gentilhomme, les saxophones en travers de la selle comme deux Winchesters, tel un troubadour 2.0 dessiné par Bilal. Et le clip (ci-dessous) est barjot. Le ton est donné.
De la musique d’inspiration médiévale certes, mais pas question de faire danser des bouffons en collants et à clochettes. [1]

Ce perfectionniste fait les recherches préalables au projet, s’instruit, se renseigne et s’approprie les matériaux. Aussi, cette musique monodique, jouée sur un bourdon avec un accompagnement rythmique vient en droite ligne du Moyen-Âge occidental mais on la trouve aussi du côté de l’Inde et des pays alentour. C’est donc en combinant ces influences qu’il invente ce répertoire.
Pour l’instrumentation, son saxophone et ses clarinettes, et la trompette de Verneri Pohjola : un homme, une voix, une note. Benjamin Flament est toujours aux percussions. Le bourdon est joué sur une shruti-box indienne, aux pieds, directement par Rifflet. [2].
Pour le répertoire, une série de portraits de troubadours hommes et femmes célèbres entre le XIe et le XIIIe siècle entre Venise et l’Aquitaine, à qui il prête vie le temps d’une mélodie.
On apprécie le son quasiment fusionnel des deux vents. Les graves de Pohjola sont d’une rondeur érotique. Les déliés de Rifflet au sax ou le tranchant de la clarinette donnent deux directions différentes à la musique, selon les morceaux. Mais toujours les deux vents se suivent, se répondent, s’entrelacent. Sans parole, cette musique de troubadour d’ici raconte néanmoins une belle histoire. Qu’elle soit modale importe peu finalement : cette modalité-là n’est pas prétexte à de longues digressions.
L’apparente simplicité (la marque des grands) de cette musique, dépouillée d’artifices, met très en valeur l’extraordinaire vivacité de ces mélismes monodiques dont la grande expressivité leur confère le statut de riches accords et que la pulsation hiératique ou cavalière de Benjamin Flament anoblit sur le champ. En fin d’album une version de « The Peacocks », le magnifique thème de Jimmy Rowles, relie ce projet au précédent ReFocus - ce thème étant joué par Stan Getz sur l’album éponyme – et Sylvain Rifflet le joue en solo, la shruti-box au pied pour un long bourdon imperceptible.

par Matthieu Jouan // Publié le 29 septembre 2019
P.-S. :

[1On ne l’appelle pas Le Chevalier blanc, lui.

[2En concert, c’est Sandrine Marchetti qui assurera le bourdon à l’harmonium.