Chronique

Samy Thiébault

Awé !

Label / Distribution : Gaya Music

On lit çà et là qu’Awé ! marque pour Samy Thiébault la fin de sa trilogie des musiques caribéennes, après Caribbean Stories et Symphonic Tales. C’est sans doute vrai, tant la cohérence entre ces trois disques a des allures d’évidence, mais on peut aussi penser que ce troisième volet est tout autant une fusion des différentes influences qui se jouaient dans les deux premiers qu’un dépassement du tout, visant à en élargir encore le cercle, pour embrasser autant que faire se peut toutes les musiques. En d’autres termes, le saxophoniste réussit avec ce disque éclairé à réunir en un seul idiome - le sien - la grande famille des musiques qui le nourrissent, jusqu’à lui donner par moments les atours d’un impressionnisme nourri des compositeurs du début du XXe siècle. En cela, il ouvre d’autres portes qui préfigurent la suite d’un chemin survolant les continents et les époques, dans une quête spirituelle où plane et planera longtemps encore l’ombre de Coltrane, figure tutélaire s’il en est. Le temps parlera…

Réalisé en trois temps principaux : d’abord une confrontation – toute fraternelle – avec une poignée de musiciens de la scène cubano-new yorkaise ; puis l’intervention décisive d’Éric Legnini, dont on sait la créativité et le sens du traitement sonore, et qui dégaine ici son Fender Rhodes ; enfin l’adjonction d’un quatuor à cordes et d’un orchestre de chambre. Au total une vingtaine de musiciens et au bout du compte, une joie d’être embarqué dans une nouvelle aventure voyageuse.

La joie, oui. C’est elle, avant tout, qu’il faut souligner. Tout comme ces éclats de lumière, cette nostalgie sous-jacente aussi, ces rires, ces larmes, cette succession de thèmes empathiques, ce doux balancement sur lequel on imagine la danse sensuelle des corps, et ces mélodies qu’on se prend vite à chanter. On pourrait évoquer un à un les protagonistes, souligner leur implication individuelle dans un projet éminemment collectif. Avant de se dire que l’essentiel est bien ce chant tenace qui traverse Awé ! de part en part et qui vous colle à la peau.

Dans cet univers baigné d’un soleil tamisé, Samy Thiébault, dont le jeu s’épaissit de disque en disque et accède à une remarquable concision, proscrivant tout bavardage superflu, parvient à l’épanouissement et à l’incarnation de sa musique. Qui est pour lui, on l’a bien compris, une quête spirituelle et un message, celui de son « aspiration au vivre ensemble face au système qui nous gouverne ». L’amour et la fraternité sont au programme : en cela, Awé ! est aussi un disque engagé, une proposition de jazz universel.

par Denis Desassis // Publié le 17 octobre 2021
P.-S. :

Samy Thiébault (ts), Bryan Lynch (tp), Manuel Valéra (p), Éric Legnini (Fender Rhodes), Yunior Terry (b), José Gola (elb), Dafnis Prieto (dms), Yaité Ramos Rodriguez (voc), Mathieu Gautron (band), Clara Abou (vln), Anaïs Perrin (vln), Benachir Boukhatem (alto), Sophie Chauvenet (cello), Odile Simon (b), Anne-Cécile Cuniot (fl), Hélène Gueuret (hatbois), Camille Lebrequier (cor), César Poirier (cl), Cécile Hardouin (basson), Bastien Stil (tuba, dir).