Chronique

Soft Machine

Drop

Mike Ratledge (org, Rhodes, p), Elton Dean (saxello, as, Rhodes, p), Hugh Hopper (b), Phil Howard (bt).

Publié au début de l’année 2009 sur le label Moonjune Records, Drop est une pièce supplémentaire à verser au dossier très fécond de l’histoire de Soft Machine. Cet enregistrement, qui remonte en effet à l’automne 1971, devrait enchanter les adeptes de la Machine Molle. Car il s’agit d’un témoignage précieux, situé au beau milieu de la courte période (d’août 1971 à janvier 1972) où le batteur australien Phil Howard remplaça Robert Wyatt, parti vers d’autres cieux musicaux [1]. Une place qu’il n’aurait peut-être jamais occupée si John Marshall, premier choix de Mike Ratledge, Elton Dean et Hugh Hopper, n’avait eu un programme de travail très chargé au sein du Jack Bruce Band [2]. Mais avec Howard, Soft Machine détenait un musicien assez exceptionnel, qui revendiquait clairement l’héritage du grand Tony Williams et démontre ici une forte présence qui, à elle seule, justifie la publication de ce concert.

Cette formation de courte durée, qui ne se produira qu’une trentaine de fois sur scène et enregistrera la moitié d’un disque - la première face de l’album 5 - avait tout pour être explosive. Soft Machine, qui avait quitté les rivages dadaïstes des deux premiers albums pour une esthétique plus résolument jazz, était donc dans une sorte d’entre-deux que reflète parfaitement cet enregistrement, capté lors d’une tournée en Allemagne. Le répertoire, ce soir-là, emprunte essentiellement à Third : « Slightly All The Time », « Out-Bloody-Rageous », et à 5 : « All White », « Drop », « M.C. », « As If », « Pigling Band ». Autant le dire clairement : si la musique de ce Soft Machine-là avait pu, en son temps, dérouter les fans de la première heure, celle du trio formé par Ratledge, Wyatt et Kevin Ayers [3], qui la trouvaient trop froide et privée de sa fantaisie originelle, il est frappant de constater aujourd’hui, soit près de quarante ans plus tard, qu’elle a fière allure ! On tient là un quarteron particulièrement en forme qui lâche la bride à une inspiration libertaire qu’on ne lui connaîtra plus beaucoup par la suite. La solidité du duo Ratledge/Hopper ne se dément pas une seconde [4] tandis que les artificiers Howard et Dean propulsent le groupe vers des espaces à défricher encore et toujours - ceux d’un jazz libertaire qui allait probablement au-delà des souhaits initiaux de Hopper et Ratledge eux-mêmes.

Une impasse, certainement. Le départ précipité de Phil Howard, vite remplacé par John Marshall en janvier 1972, atteste de la complexité d’une entente qui sera de quelques mois seulement. Divergences artistiques, problèmes d’égos contribueront à la dissolution de cette version fugace du groupe, dont l’histoire perdurera pourtant plusieurs années. Aura-t-elle abouti, dans sa dernière période, à des heures aussi intenses que celle de Drop ? Rien n’est moins sûr ; les exégètes nous le diront.

par Denis Desassis // Publié le 5 février 2010

[1Wyatt avait quitté le groupe, dont l’évolution artistique lui convenait mal. Un premier album sous son nom en 1971, The End Of An Ear, permettait alors de le découvrir en tant qu’« out of work pop singer » [sic] avant qu’il ne mette sur pied une formation malicieusement baptisée Matching Mole.

[2Marshall entrera dans Soft Machine en janvier 1972 et jouera sur la deuxième face du cinquième disque du groupe, 5.

[3Remplacé dès le second album par Hugh Hopper.

[4« Out-Bloody-Rageous » est à cet égard un très grand moment, qui témoigne de l’assise hors du commun fournie par les deux musiciens.