Chronique

Stéphan Oliva/Jean-Marc Foltz

Pandore

Stephan Oliva (p) ; Jean-Marc Foltz (cl)

Label / Distribution : Sans Bruit

Des liens se nouent forcément entre artistes qui se découvrent membres de la même « famille ». Le pianiste Stephan Oliva et le clarinettiste Jean-Marc Foltz sont complices depuis une dizaine d’années : ils ont participé à divers projets et formations depuis le Lousadzak initial de Claude Tchamitchian jusqu’au quintet d’Itinéraire imaginaire sur le label Sketch, sans oublier Soffio di Scelsi, en trio avec Bruno Chevillon.
En duo, ils se sont créé tout un répertoire de « jazz de chambre » très contemporain. C’est au Festival Bleu sur Scène du Théâtre du Châtelet à Paris (2005), qui proposait une carte blanche à Stephan Oliva, que renvoie ce nouvel opus, Pandore, sur le label virtuel Sans bruit.

Oliva y avait joué plusieurs soirs de suite, d’abord avec la chanteuse Suzanne Abbuehl, puis avec Jean-Marc Foltz, avant de s’abandonner aux improvisations énergiques du batteur Joey Baron. Stéphane Oskeritzian ne pouvait faire preuve d’un meilleur goût, dans sa programmation, qu’en choisissant ce musicien qui maîtrise l’art du dialogue. Car Oliva donne toujours à partager ; il invite à un voyage intérieur, intime mais tourné vers l’autre.

L’idée de prolonger le duo avec Foltz se concrétise quand, à l’occasion d’un ciné-concert où il illustrait le Loulou de G.W Pabst, Oliva pensa à ouvrir la boîte de Pandore. Pandore symbolise l’origine des maux de l’humanité, qui viennent par la femme, façonnée sur l’ordre de Zeus !
L’homme qui a ravi le feu aux dieux subira la brûlure par le feu de son désir… L’imaginaire musical fit la suite et c’est ensemble que tous deux choisirent d’explorer le mythe, dans le cadre d’une nouvelle commande de S. Oskerikian [1]..

La rencontre entre le pianiste et le clarinettiste donne lieu à un happening émouvant et stimulant à la fois, improvisé au fil de plusieurs concerts en 2007. Le thème choisi, celui de Pandore, propice au désespoir mais aussi aux fantasmes, déroule son itinéraire dangereux, dévoilant les subtilités d’une composition qui évolue au long de l’album. On se souvenait, au Châtelet, du chant d’amour délivré par un éblouissant Jean-Marc Foltz, dont la musique était caressante, exaltée. Il semble que le charme soit retombé dans cette version plus sombre, qui raconte une histoire entre rêve et réalité, crainte et espérance.

Foltz sait trouver le chemin de la mélodie qui retient en osant la lenteur. Prenant une élégante distance par rapport au bruit du monde actuel, sa clarinette étire le motif, l’accompagne dans un souffle, presque jusqu’à sa disparition. Quant au phrasé du pianiste, il est d’une limpidité saisissante, et son attaque est ferme et franche. Son toucher, tout en réserve et en finesse rythmique, se transforme peu à peu pour atteindre des sommets d’énergie.

Navigant entre indécision et vigueur, désir et distance, une partie significative se joue entre les deux musiciens et se contruit dans cette tension, incessante. Voilà bien un projet exigeant mais passionnant. Une musique dont le mystère et le sens se dérobent au fur et à mesure qu’ils sont énoncés, une musique d’incertitude, du « hasard » comme dans le titre d’un roman de Paul Auster, auteur qu’affectionne particulièrement Oliva. On entend ce que l’on ne voit pas encore, ce que l’on redoute. Saisissant et insaisissable.

1. Pandore (Ouverture) 3:37
2. Le présage 3:20
3. La source 2:02
4. Salomé 5:06
5. Vestiges 6:00
6. Maléfique 4:25
7. L’imprévue 8:34
8. Anesidora 6:11
9. Dans la nuit 3:52
10. Pandore (L’espérance) 4:59

Total : 48:14

par Sophie Chambon // Publié le 11 octobre 2008

[1Également cofondateur du label Sans Bruit, avec Stéphane Berland et Philippe Ghielmetti.