Entretien

Sylvain Cathala

Sylvain Cathala est un musicien qui sait où il va et sait parfaitement le raconter, et même le mettre en perspective.

Deux qualités majeures au moment d’être interviewé, lorsqu’il s’agit de conceptualiser sa musique et son propos. Avec Hope, son disque en septet qui sort sur son label Connexe Records, il affiche de nouveau son goût pour les prolongements d’orchestres. Après le quartet Print doublé en Print & Friends, voici que son fameux trio avec Sarah Murcia et Christophe Lavergne s’étend à d’autres musiciens qui semblent être d’une même famille. Poursuivre ses idées et cependant les questionner sans cesse, c’est la marque des bâtisseurs, ce qu’est indéniablement Cathala. Rencontre juste avant le concert à la Rentrée des Grands Formats, autour d’un curry, avec un saxophoniste qui parle comme il joue : avec un calme et une sérénité contagieuse qui s’entoure de chaleur tout en n’ayant jamais besoin de hausser le ton pour imposer une direction et un climat.

· Pouvez-vous nous expliquer votre volonté de repartir avec une nouvelle formation en septet, avec une couleur différente ?

Ce n’est pas forcément nouveau. C’est un prolongement du trio avec Sarah Murcia et Christophe Lavergne à l’occasion de ses dix ans, un peu comme ce qui s’était passé avec Print & Friends. C’est un parcours similaire : on a fait des choses pendant dix ans ensemble et on ouvre à d’autres musiciens pour partager notre univers. Ce nouveau disque a été réalisé dans le cadre d’une résidence au Triton avec Marc Ducret, Benjamin Moussay, Guillaume Orti et Bo van der Werf, soit trois saxophones. Je crois que je me suis rendu compte de cela uniquement la veille de la première répétition. J’avais aligné des noms, des personnes avec qui je souhaitais travailler, et il se trouve que ça c’est fait comme ça, sans choix prédéfini. L’important est ce que les musiciens peuvent apporter, plus que l’instrument dont ils jouent.

Sylvain Cathala et Sarah Murcia © J. Gros-Burdet

· Dans le choix des musiciens justement, la présence de Guillaume Orti ou de Bo van der Werf est elle un clin d’œil appuyé à l’univers et au son d’Octurn  ?

Il y a une proximité, c’est sûr, mais pas de copycat (rires). Ce sont des musiques voisines, cousines, qui prennent racine dans le même terreau, mais il n’y a pas une volonté de s’inscrire dans une lignée, ne serait-ce que parce qu’entre un projet sur le papier et un autre réalisé, il y a de nombreuses évolutions et contraintes. C’est l’évolution, pas exactement comme ce qui était prévu au départ, qui a amené cette couleur.

Le casting est très intéressant avec deux instruments harmoniques, trois soufflants et une section rythmique : outre le fait que dans le trio on s’entend extrêmement bien et qu’on était sur un répertoire déjà connu de nous trois, la façon d’improviser d’un Marc Ducret et d’un Benjamin Moussay, par exemple, est radicalement différente, tout comme les approches des trois saxes. Dans les sections, ça sonne avec trois soufflants, mais les parties solistes permettent de développer des univers et des imaginaires très personnels et ça donne énormément de richesse à cet orchestre.

L’important est ce que les musiciens peuvent apporter, plus que l’instrument dont ils jouent.

· Justement, avez vous construit cette musique en essayant de coaliser des groupes plutôt qu’en jouant sur les oppositions de styles ?

La musique a été élaborée et réfléchie avec une véritable évolution dans la direction qui, je crois, est assez sensible. Sur la conception même de l’orchestre en grand format - comme l’est aussi Print - la musique de Hope est envisagée avec bien plus de liberté. C’est ce que avons eu coutume de faire avec le trio pendant toutes ces années. On discute beaucoup entre nous ; c’est quelque chose qui existe aussi avec Print, mais qui a tendance à se figer dans la forme assez rapidement. Avec Sarah et Christophe, on a bénéficié de beaucoup de séries de concert durant toutes ces années, et il y a une dimension plus « jazz », si l’on peut dire, avec davantage d’interplay,

Cette habitude prise, j’ai voulu la transcrire d’abord en quintet avec Marc Ducret et Matthias Mahler pour les dix ans, puis ensuite avec les musiciens de Hope. On a organisé la musique de sorte que l’on sache quoi jouer et vers quoi aller, et que de temps à autre il y ait un étagement étant donné notre nombre, mais aussi des unissons, ce qui permet de varier le caractère des morceaux tout en gardant une grande souplesse dans la manière d’organiser la musique. Avec le septet, on a beaucoup travaillé la réécriture du répertoire du trio, apporté plein de nouveautés en termes de direction d’orchestre. Cela a ouvert des voies très différentes pour l’ensemble des improvisateurs. L’idée c’est d’avoir une grande formation aussi maniable qu’un petit hors-bord. En tout cas pas un supertanker où il faut freiner vingt kilomètres avant pour s’arrêter !

Sylvain Cathala

· Avec Ducret et Moussay, vous avez intégré l’électricité dans un trio qui était très acoustique, avec la contrebasse de Sarah Murcia prédominante. Comment avez vous envisagé cette mutation ?

On a déjà cela dans Print avec un front de métalleux-rockers en seconde ligne et une section de vents devant… Et deux musiciens en commun entre les deux orchestres, avec moi et Benjamin Moussay. Avec le septet, on a privilégié l’interplay, comme je le disais. C’est une musique assez complexe à aborder, alors chaque musicien a eu la même chose : une partition où toutes les voix sont là. C’est complexe, pas forcément confort, mais ça permet de prévoir, de lire ce qu’on entend.

Les formes sont préétablies et libres, où l’imprévu est le bienvenu. Pour Benjamin et Marc qui ont une grande expérience ensemble, ils se sont séparé les rôles mais parfois je demandais des choses précises en termes d’identification sonore du groupe. Cette approche du travail me plaît bien et c’est quelque chose vers quoi je veux continuer à aller.

· On a le sentiment que votre jeu dans Hope est moins anguleux, plus calme, plus doux et apaisé, plus proche de la voix et de votre personnalité. Est-ce qu’il y a eu une évolution de ce côté ?

J’essaie le plus possible que l’improvisation soit en rapport avec le matériau. Dans Print, il y a quelque chose de millimétré, foncièrement rythmique et qui n’est pas atténué par la présence harmonique. C’est quelque chose de fort qui est constitutif de notre histoire. Il y a un autre rapport avec le septet. La musique peut être proche, mais ce n’est pas la même sensibilité, la même structure. Le jeu de Christophe Lavergne est très profondément, très intimement lié à l’histoire du jazz. Jouer avec Franck Vaillant ou avec Christophe amène à deux approches assez dissemblables. Sur un des solos de Hope, je débute en duo avec Christophe, et il y a toute une partie très elliptique. On fait des choses ensemble qu’on avait jamais faites avant ; effectivement. Christophe a un jeu ultra piano, avec beaucoup d’espace, et ça donne un son très particulier.

Je voulais effectivement un groupe avec plus de liberté formelle
et qui soit globalement l’inverse de Print.

· Hope, contrairement à Print dont l’atmosphère est fort nocturne, se situe dans une ambiance plus lumineuse, proche de l’aube. Cette césure est-elle consciente ?

C’est intrinsèquement lié à ma manière de diriger mes orchestres. C’est volontaire et intimement lié aux personnes et à la formule. Print, à la base, c’est un quartet avec deux saxes/ contrebasse/batterie et le trio c’est sax/contrebasse/batterie. Il y des similitudes dans les deux groupes, mais moins on est nombreux, plus il y a de responsabilités. Je voulais effectivement un groupe avec plus de liberté formelle et qui soit globalement l’inverse de Print. Dans Print, Jean-Philippe Morel vient du jazz, des standards, et Franck Vaillant plutôt du rock. Dans le trio, c’est l’inverse, avec Sarah qui vient plutôt de la chanson. Ça apporte un rapport à la pulsation différent. Bien sûr il n’y en a pas un qui est mieux que l’autre, mais ça développe un imaginaire radicalement autre.

Sylvain Cathala © Franpi Barriaux

· Quels sont les projets à terme ? A-t-on notamment une chance de ré-entendre l’Olympe trio (trio de saxophones Payen/Grimal/Cathala) ?

J’aimerais bien refaire des choses avec Olympe, d’autant que le dernier concert il y a quelques années avait été vraiment télépathique. Mais ma priorité en tant que directeur de compagnie en ce moment n’est pas aux groupes à direction partagée. C’est conjoncturel. En novembre à la Maison de la Musique de Nanterre, nous allons avec Print en quintet (avec Benjamin Moussay) rencontrer le quintet contemporain TM+ [1] pour Les Rayures du zèbre, une chimère musicale qui appartient aux dix musiciens, je vais écrire la musique, tout comme le pianiste Alexandros Markeas.

On va essayer de retrouver cette même liberté qu’avec le septet ou avec Print, mais avec une orchestration inédite ; TM+, c’est un piano, une percussion, deux clarinettes et une contrebasse. Ce sont deux orchestres avec une écriture très différente qui creusent des imaginaires communs. C’est la première rencontre pour Print avec le monde contemporain. C’est aussi une première pour TM+. Je suis très impatient de jouer ça, de découvrir les partitions d’Alexandros. Pour ma partie, j’ai envisagé ça comme un morphing sonore, un décalage vers le contemporain, une possibilité de développer de l’inédit avec une palette plus large. Ce sera enregistré par France Musique.

par Franpi Barriaux // Publié le 17 décembre 2017

[1L’interview a eu lieu à la mi-octobre, NDLR.