Scènes

Trilok Gurtu… jours !

Dimanche 9 juin 2019, Marly Jazz Festival. Guillaume Cherpitel Trio, Trilok Gurtu Quartet.


Trilok Gurtu Quartet © Jacky Joannès

Clap de fin pour la quatrième et dernière soirée du Marly Jazz Festival. Et pour terminer dans une ambiance festive, le quartet du percussionniste indien Trilok Gurtu, venu rendre hommage à quelques-uns de ses maîtres trompettistes.

On me pardonnera d’autant plus volontiers le vilain jeu de mots qui fait le titre de cette chronique que son auteur est Trilok Gurtu en personne. Le percussionniste indien, flanqué de sa batterie si particulière et d’une kyrielle de percussions – dont un désormais célèbre seau d’eau – est venu en quartet parachever en beauté la quinzième édition du Marly Jazz Festival.

Avant sa prestation haute en couleurs, le pianiste nancéien Guillaume Cherpitel a présenté le répertoire de Choc, un disque à venir enregistré avec son trio, composé de Jean-Luc Déat à la contrebasse et d’Alexandre Ambroziak à la batterie. Le style très percussif de cette formation, poussée par les convulsions du batteur, a trouvé en la personne de Julien Petit un exutoire que je pourrais qualifier de charnel. Le saxophoniste messin, déjà vu l’an passé au Marly Jazz avec son propre quartet, est en effet l’invité surprise du soir. Au soprano courbé comme au ténor, il insuffle – c’est bien le mot – une chaleur bienvenue, ce petit supplément d’âme qui fait qu’on entre cette fois avec plus d’aisance dans une musique parfois encore un peu raide. Mais l’énergie des quatre musiciens est bien là, c’est une évidence.

Pour ceux qui ne connaitraient pas Trilok Gurtu, il me faut rappeler que ce fils d’un joueur de sitar et d’une chanteuse a grandi en musique, notamment en apprenant à jouer du tablâ. On le connaît en Europe depuis une trentaine d’années comme celui qui a toujours voulu brasser musique indienne, jazz, funk et autres idiomes musicaux en provenance de tous les continents, dont l’Afrique. Parmi ses faits d’armes, Gurtu a côtoyé Don Cherry, Joe Zawinul, Jan Garbarek, Pat Metheny, Zakir Hussain ; il a été membre du groupe Oregon et a évolué au sein du trio de John McLaughlin au début des années 90. Une sacrée carte de visite, tout de même.

Il y a quelques années, Trilok Gurtu a enregistré l’album Spellbound en hommage aux trompettistes. L’occasion pour lui de célébrer Dizzy Gillespie, Miles Davis ou Don Cherry et de s’assurer le concours de Paolo Fresu, Ambrose Akinmusire, Tom Harrell, Nils Petter Molvaer ou encore Ibrahim Maalouf. Et c’est le répertoire de ce disque qu’il est venu interpréter à Marly, entouré du pianiste turc Tulug Kirpan, du bassiste germano-espagnol Jonathan Ihlenfeld Cuniado et du trompettiste allemand Frederik Köster. Le percussionniste est installé à la droite de la scène, au cœur d’un ensemble de percussions qui ressemble à une forteresse bariolée d’où il fera montre de virtuosité autant que de lyrisme… et de taquinerie aussi.

Trilok Gurtu © Jacky Joannès

Le concert commence en force avec « Manteca » de Dizzy Gillespie, avant l’enchaînement « Black Satin / Jack Johnson » (Miles Davis, forcément) puis un clin d’œil amical à Paolo Fresu (« Berchidda »). La température monte et, on l’aura compris, l’ambiance n’est pas sans évoquer la période électrique Miles Davis, celui des années 70 en particulier (On The Corner ou A Tribute To Jack Johnson). À ce petit jeu, Frederik Köster souffle habilement le chaud, sa présence est suffisamment forte pour s’octroyer une place centrale au sein d’un groupe tout entier acquis à la cause de son leader. Ce dernier fait montre d’une puissance polyrythmique assez bluffante et marie les couleurs de son jeu avec le chant traditionnel indien qu’on lui connaît depuis longtemps. Au registre des anecdotes, « Like Popcorn », autre composition figurant sur Spellbound, nous est présentée comme une tentative de jonction entre Miles Davis et… Bollywood ! Après tout, pourquoi pas ? Pendant 90 minutes, le quartet maintient le cap et ne relâche jamais la tension, avant de laisser la place au « maître » pour une démonstration virtuose, aux commandes de son petit vaisseau percussif. C’est le retour du seau d’eau ! Cet exercice attendu de tous est l’occasion pour le musicien de faire preuve d’humour, aussi, et de mettre le public dans sa poche. Ce qui lui vaudra, on l’imagine bien, un rappel.

Trilok Gurtu © Jacky Joannès

Il me semble difficile de conclure cette déambulation de quatre jours sans redire ici à quel point Marly Jazz est un moment particulier qui doit son état d’esprit, pour ne pas dire son âme à Patrice Winzenrieth. L’homme est un passionné, qui pourrait s’il le souhaitait couler une retraite paisible. Mais la musique est là, qui le fait vibrer depuis toujours et dont la multiplicité avive son désir de partager ce qui est chez lui une passion. Et puis, demandez aux musiciens, vous saurez ce que signifie un accueil chaleureux, presque familial. Pour ce qui concerne la programmation – n’oublions pas que les temps sont plus difficiles que jamais en cette époque où beaucoup aiment mieux reconnaître que connaître, tandis que l’argent public ou les mécénats se raréfient et vous imposent une course-poursuite – elle témoigne chez lui de la recherche constante d’un équilibre par lequel est mise en avant l’idée que tous les publics pourraient se rejoindre autour du NEC, la salle du festival. Un dosage de talents émergents et/ou régionaux (cette année Obradovic-Texier Duo ou encore le trio du pianiste Grégory Ott), de musiques populaires (Marc Berthoumieux) ou voyageuses (Samy Thiébault) et, assez souvent, avec de l’électricité dans l’air, une bonne cure d’énergie et, si possible, une tête d’affiche internationale (Charlier Sourisse Winsberg, WEARE4 ou Trilok Gurtu). Voilà qui devait être dit. On attend l’édition 2020 en souhaitant bon courage à celui qui, ne l’oublions jamais, a su faire du tirage quotidien de la tombola un moment d’incertitude dont lui seul a le secret !

Sur la platine

  • Trilok Gurtu : Spellbound (Moosicus Records – 2013)