Chronique

Umlaut Chamber Orchestra

Zodiac Suite

Label / Distribution : Umlaut Records

C’était le grand projet de Pierre-Antoine Badaroux avec le Umlaut, il nous l’avait confié lors d’une interview, et tout semblait converger : rendre hommage à Mary Lou Williams (MLW) avec un orchestre au visage différent. Il avait déjà, dans le formidable Mary’s Idea, travaillé la Zodiac Suite de la compositrice étasunienne : l’une de ses œuvres les plus avant-gardistes qui fait d’elle une des plus grandes figures du jazz de l’immédiate après-guerre. Femme et noire, elle restera pourtant au second plan ; le Umlaut Chamber Orchestra, fort de ses vingt-et-un pupitres, en démontre sans peine toute l’injustice. « Gemini », et la finesse de ses arrangements, l’époustouflant travail des cordes qui grignote l’émotion jusque dans les profondeurs, remettent Mary Lou Williams à sa juste place. Dans les étoiles.

On a l’habitude, avec Badaroux et sa bande, d’une lecture respectueuse et aventureuse des partitions qu’il investit. Mais ici, c’est un aspect encore nouveau qui est visité, car il ne s’agit pas d’exploiter le potentiel dansant du patrimoine, mais bien son plus haut raffinement : dans l’écriture de cette suite sur les signes zodiacaux, Williams s’inspire tout autant du blues de son Atlanta natale que de la lointaine Seconde École de Vienne, Berg en tête. On y songe dans le brillant « Scorpio », lorsque le piano si constructeur de Matthieu Naulleau dialogue avec les soufflants, le basson de Pierre Fatus en tête. C’est même sur cette liaison transatlantique que Badaroux insiste dans l’ensemble de la suite, « Introduction » exposant les motifs comme une œuvre opératique. Le Umlaut en version chambriste a été construit à la mesure de ce défi : celui d’aller au bout de ses idées et dévoiler des liens qui laissent entrevoir un grand continuum dans la musique créative et audacieuse. Badaroux n’est pas pour rien un fin connaisseur de Braxton.

On peine à mettre ici un morceau en exergue : c’est l’intégralité de la Zodiac Suite qui a son importance. On peut évidemment louer le travail de la flûtiste Chloé Tallet sur le très pastoral « Sagittarius », ou encore l’ensemble des cordes sur le très dense « Leo ». Mais le tour de force du Umlaut Chamber Orchestra est unique et collectif. A l’écoute de « Pisces » qui clôt l’album en invitant la chanteuse lyrique Agathe Peyrat, on a également le sentiment que cette musique ne serait pas celle-ci sans le travail ancien de Badaroux sur la musique hollywoodienne avec le regretté Umlywood. Zodiac Suite est un coup de maître, syncrétique et fascinant.

par Franpi Barriaux // Publié le 21 janvier 2024
P.-S. :

Pierre-Antoine Badaroux (dir), Agathe Peyrat (voc), Chloé Tallet (fl), Guillaume Retail (hb), Geoffroy Gesser (cl, bcl, ts), Pierre Fatus (bsn), Brice Pichard (p), Harmonie Moreau (fh), Michaël Ballue (tb), Stéphanie Padel, Florian Perret, Émilie Sauzeau, Raphaël Coqblin, Clémentine Bousquet, Clara Jaszczyszyn, Lucie Pierrard (vln), Elsa Seger, Valentine Garilli (vla), Myrtille Hetzel, Pablo Tognan (cello), Sébastien Beliah (b), Antonin Gerbal (dms)