Portrait

Un nouveau label : sans bruit…


Il fallait bien que ça arrive, voici le premier label virtuel.
L’association et le label Sans bruit ont lancé une expérience inédite le premier mai dernier en proposant en ligne Ran Blake en solo, le duo Marc Ducret/Benoît Delbecq et, depuis juillet, une autre paire d’as, Stephan Oliva et Jean-Marc Foltz.

Cette initiative audacieuse provient de la rencontre de trois passionnés de jazz et de l’amitié qui en a résulté. Désireux à tout prix de donner une suite à l’aventure de l’excellent festival (aujourd’hui disparu) Bleu sur Scène qui s’est tenu au Châtelet de 2003 à 2006, Philippe Ghielmetti, le producteur du regretté label Sketch, Stéphane Oskéritzian, régisseur son au Châtelet et Stéphane Berland, autre grand amateur et par ailleurs Webmaster ont décidé de conserver la mémoire de certains concerts datant de 2006 et d’en prolonger l’esprit, en unissant leurs compétences.

Pour ceux qui étaient au Châtelet en ce début juillet 2006, alors que la Coupe du Monde de foot battait son plein, ce sont là des souvenirs formidables. A côté des têtes d’affiches (Acoustic Masada, Bill Frisell) étaient programmés en deuxième partie pour un public réduit, installé sur scène, des « afters » mémorables dont on peut désormais retrouver la saveur pour un coût modique. Voilà du téléchargement légal et intelligent, peut-être une solution aux changements de pratiques en matière d’écoute. Musique et jaquette (imprimable) se téléchargent donc, ainsi que des « postcards » gratuites, bonus en ligne pour une durée limitée.

Pour qui a suivi l’histoire du label Sketch, les goûts de Philippe Ghielmetti se retrouvent dans le choix de ces « musiques créatives », selon une ligne directrice précise. Le premier à faire les honneurs du « catalogue » est le pianiste Ran Blake avec son Cinéma Châtelet pour un concert court mais d’une saisissante beauté. On y ressent la présence impressionnante du soliste, minimaliste et dense : un parcours onirique aux ellipses vertigineuses, un moment d’infinie beauté, un déplacement imaginaire, comme devant le grand écran. Un vrai plaisir de cinéphile. Contrastant volumes et registres, il joue sur les silences et les timbres, variant à merveille le toucher. L’amateur de film noir a trouvé un interprète idéal chez ce musicien tout en improvisations et en ruptures.

Changement de « mood » mais décor identique, la scène du Châtelet, où une dizaine de chaises étaient installées cette fois, non autour du piano mais devant les musiciens. Un duo imprévisible et qui pourtant s’accorde vite, tant Delbecq et Ducret sont rompus à toutes les pratiques d’improvisation. Amoureux du son, explorateurs de l’espace musical, ils se lancent dans une conversation qui se déroule sans aspérités autres que celles recherchées, dans la beauté d’un échange vif, suivant une ligne de crête difficilement accessible, rugueuse et abrupte. Une nouvelle écoute de ce concert en restitue l’étrange beauté. Sur ce Bleu sur Scène, July 2006 Delbecq constitue la matière première et c’est à Ducret que revient, dans le fond, le rôle plus ingrat de trouble-fête : s’il intervient souvent, en interrompant le flux continu du piano, il sait aussi s’y fondre à l’occasion, ou relancer la machine par toutes sortes de bruits et titillements électriques, entre autres crachotements, grincements plus ou moins rauques. Ces deux là savent se retrouver, s’assembler et jouer l’accord parfait. La musique se fait sous nos yeux, se façonne, et l’enregistrement préservé de ces pièces longues et précises en est la preuve indubitable.