Chronique

Al Di Meola World Sinfonia

Heart of the Immigrants

Al Di Meola, Chris Carrington : guitare ; Dino Saluzzi : bandonéon ; Arto Tuncboyacian : percussion, voix ; Hernan Romero : voix

Label / Distribution : Remark Records

Pour beaucoup de gens, Al Di Meola est un guitariste virtuose qui a traversé les années soixante-dix en solo ou aux côtés de Chick Corea au sein du groupe Return To Forever, illustrant de ses improvisations d’une très rare vélocité une des facettes les plus célèbres du jazz-rock. Pour tous les guitaristes amateurs, il est également l’un des trois redoutables membres du Guitar Trio (avec John McLaughlin et Paco de Lucia) qui a définitivement marqué le monde de la guitare acoustique grâce à l’album Friday Night In San Francisco en 1981. Heureusement Al Di Meola ne s’est pas contenté de développer à outrance un jeu basé sur la pure vitesse d’exécution, tel un pitoyable Yngwie Malmsteem du jazz-rock.

Dans cet enregistrement datant de 1993, chacun pourra constater que le musicien n’a abandonné ni une grande musicalité, ni un indéniable sens de l’interprétation. Il rend ici un hommage au grand maître du tango Astor Piazzolla en adaptant une demi-douzaine de pièces de ce dernier. Les autres morceaux de l’album sont des compositions de Meola lui-même ou d’autres membres du groupe, ainsi que l’éternel Someday My Prince Will Come. C’est d’ailleurs un des reproches que l’on pourra faire à la conception de l’album : les titres de Piazzolla sont des compositions si sublimes qu’ils en ternissent les autres morceaux. Par contraste, les pièces de Meola notamment - excepté le brillant Indigo - apparaissent comme un peu simplistes (Carousel Requiem) ou au contraire trop élaborées (Under A Dark Moon), et semblent perdre leur spontanéité potentielle. Sans être intrinsèquement ordinaires, il leur manque la Beauté, l’essence de la Grâce que l’on trouve chez Piazzolla. En revanche, les deux titres de Arto Tuncboyacian tirent leur épingle du jeu, car ils sont suffisamment éloignés du monde de Piazzola pour ne pas souffrir de la comparaison. Evocateur d’un monde infiniment mélancolique, un de ces deux morceaux (Heru Mertar / Don’t Go So Far Away) s’intègre parfaitement à l’esprit du tango qui règne dans tout le disque.

Pour conclure en abordant le jeu de Meola lui-même, on l’a dit, il a mis de côté les démonstrations de vélocité gratuites. Même s’il sort de son chapeau quelques impressionnantes descentes de manche (Tango II, Parranda), on se concentrera sur ses prestations les plus brillantes : l’interprétation en solo de Milonga Del Angel et son phrasé précis et souple, la très belle version dédiée à Miles Davis de Someday My Prince Will Come, jouée de façon émouvante et très ludique sous forme de questions-réponses avec le bandonéon de Dino Saluzzi, ainsi que Tango II, pièce légère, tout en retenue et garnie de multiples ornementations.