Chronique

Franck Vigroux, Stéphane Trepp, Michel Blanc

Les 13 cicatrices

Stéphane Trepp (tb), Franck Vigroux (g), Michel Blanc (d).

Donnez votre confiance aux musiciens qui n’ont pas renoncé à avoir un avenir, y compris sur Internet, la grande distribution ne faisant plus vraiment son travail.
Dans le genre, découvrez le premier album, les 13 cicatrices d’un groupe particulièrement convaincant.
C’est Franck Vigroux qui fait le lien dans ce triangle très équilatéral. Le guitariste qui aime interviewer sur son site ses amis musiciens,fait attention au verbe, à la chair des mots. Une soprano, Cécile Rives et une comédienne Valérie Renaud accompagnent d’ailleurs sur deux titres ce trio original à l’instrumentation peu commune : trombone, batterie et guitare fretless . Cécile Rives chante, crie, parle, passe du chant lyrique au langage automatique sans oublier l’improvisation dans des délires qui évoquent Carla ou Nina.
Ainsi se mettent en scène de petits intermèdes, dans la séquence de Lost car, ou dans cet autre scénario Inquiétudes avec des échanges intenses entre voix et trombone. Le trombone volubile de Stéphane Trepp confirme que cet instrument attachant , si proche de la voix humaine, engage, soutient , et relance le dialogue de façon évocatrice, narrative. Quant au batteur Michel Blanc, qui module en permanence le son, tout en retrait et en nuances, il sait aussi déclencher une frémissante inquiétude, un déséquilibre très excitant. Plus qu’une rythmique survoltée qui irait bien avec la guitare wah-wah, l’énergie vient de cette tension perpétuelle à laquelle on se livre sans la moindre réticence.

Compromis entre écriture et improvisation, cet album élégant présente une pochette dont la peinture d’André Wintergeist fait dériver sur un imaginaire d’aventure, des titres poétiques comme « Sous le crâne d’un sourd » emprunté à Blaise Cendrars, autre grand voyageur. Il se prête à l’exercice de formes ouvertes où chacun essaie de trouver ses propres repères pour mener à bien ses initiatives, en comptant aussi sur la réactivité des partenaires. Les morceaux sont rythmiquement complexes, sans parti pris systématique, à envisager plutôt comme un exercice de style réussi.
Dans « Les actes », la guitare et le trombone improvisent sur la première partie tandis que la batterie joue une partie entièrement écrite. Le rendez-vous renvoie sur un thème à l’unisson sans la moindre barre de mesure, seules de courtes phrases entre guitare et batterie rappellent aux musiciens leur place exacte.

On peut vraiment écouter cette musique d’un trait et sans parler vraiment de concept, une vive cohésion lie les éléments du trio. Entre rêve inquiétant et humour tendre, charge émotionnelle et minimalisme, la scène s’ouvre à des corps morcelés d’images, à des voix détournées, multiples, et devient lieu d’expériences où le hasard a aussi son mot à dire.
Un son très recherché et vigoureux, une guitare qui essaie de ne jamais tomber dans le piège attendu du lyrisme,alors qu’elle en a toutes les possibilités,de l’audace dans le choix de ces rythmes volontairement fragmentés, disloqués comme ce scénario d’accident, cette mémoire qui divague dans le premier titre, ou encore ce final si prenant des 13 cicatrices.
Une pièce que l’on pourrait écouter en boucle jusqu’à l’interruption brutale.
Voici donc un album en rupture, qui imprime sa marque singulière.

Ce disque est distribué sur Internet sur le site de Franck Vigroux ou sur www.cdbaby.com.

Le trio sera en concert le 13 décembre 2002 à Langogne (48) et le 19 décembre 2002 à l’Olympic Café (Paris 18°).