Chronique

Archimusic + Elise Caron

Sade Songs

Label / Distribution : Le Chant du Monde

Il fallait oser s’attaquer à Sade et reprendre ses écrits pour les mettre en musique. Jean-Rémy Guédon à la tête de son Archimusic a fait appel à sa complice de toujours, la surdouée Elise Caron pour mettre en voix et en situation les paroles du Divin Marquis.

Huit musiciens - un quartette de jazz et un quatuor à vents - et la divine Elise, la diva Caron, en neuvième superlative, pour un jazz chambré, dans un programme de Sade songs.

Archimusic est, depuis 1993, la rencontre impromptue entre musiciens d’horizons différents que dirige le saxophoniste Jean-Rémy Guédon, homme-orchestre créateur d’une musique surprenante, ingénieusement située entre écriture et improvisation.

La logique commerciale ne supporte pas le désordre des genres. Ici styles et genres ne s’additionnent pas, fusionnent encore moins, mais s’accordent, tout simplement, dans ces formidables épousailles où la spirituelle Elise Caron, qui sait aussi se faire bête de scène, s’unit a tutti dans le concert des respirations parallèles : harmonie délicate du basson et du hautbois (« L’imagination »), phrasé vocal des clarinettes, éclat de la trompette et des saxophones (« Lois et passions »), percée rythmique de la batterie et de la basse.

Elise Caron sait faire passer le texte le plus indigeste « Les Supplices » (il fallait bien rendre au Marquis sa « part d’ombre ») en susurrant presque. S’il faut prêter l’oreille à son murmure, les musiciens entrent dans cette marche funèbre avec excitation, dans une surenchère de cuivres et de vents.

Ondulant voluptueusement sous un souffle ininterrompu, ces Sade songs (le titre aurait plu à Gainsbourg) fêtent l’imagination musicale au gré de surprises sonores, humoristiques, classiques, percussives. Le format « chanson » paraît le plus adapté à ce spectacle complet, collection de perles sonores, reliées par le fil continu du texte du baroque Marquis.

En replaçant l’origine du scandale dans la révolte, le choix des extraits « réhabilite l’homme », l’écrivain, le philosophe éclairé du XVIIIè : « O, homme, est-ce à toi qu’il appartient de te prononcer sur ce qui est Bien et ce qui est Mal ? »). Cette personnalité ne peut qu’inspirer les créateurs, et à plus forte raison un compositeur de jazz : « Les individus qui ne sont pas animés de passions fortes ne sont que des êtres médiocres… et je te pardonnerai d’être moraliste quand tu seras meilleur physicien. »

L’hommage s’exprime par une écriture musicale insolente et savante, sculptée à même la matière sonore. Le corps à corps opère avec Sade sans la moindre affectation, ses mots ont du goût, et le sens reste toujours « lisible ». Comme si le texte devenait musique quand il n’en peut plus d’être dit, et la musique, texte quand elle s’épuise à n’être que musique.

L’écoute s’abandonne alors entre texte et musique tressés amoureusement, le son pousse le sens, mais le sens surgit aussi du son. Unis par leurs limites mais aussi leurs connivences sonores, les textes sont innervés par le jeu des mots, qui sont aussi jeux de sons. Les paroles que nous lance Elise Caron, avec une énonciation parfaite et une réelle jubilation, collent aux mélodies de Jean-Rémy Guédon dans ce conte musical (pour adultes) où « les sensations communiquées par l’organe de l’ouïe sont celles qui flattent davantage. »

On appréciera donc l’exercice à sa très juste valeur. Une version scénique est déjà en place, et on l’imagine absolument délectable : happening sonore dans un théâtre d‘ombres chinoises né du talent de Jean-Lambert Wild et sa Coopérative 326 et de l’imagination de l’illustrateur Stéphane Blanquet. Que la fête commence !

par Sophie Chambon // Publié le 1er mai 2006
P.-S. :
  • Sade Songs version théâtre du 27 au 30 septembre au Théâtre André Malraux au Kremlin Bicêtre
  • Sade Songs version concert le 8 juin à l’Européen (Pais)