Chronique

Jazz sur la Croisette

Cannes 1958

Label / Distribution : INA

Dans la série « Oldies but Goldies », voici un double CD qu’il faudrait (s’)offrir pour finir commencer l’année en beauté. Le jazz fut la musique du XXè siècle, et cette sélection de concerts enregistrés lors du premier et dernier Festival de Cannes (de Jazz) pour la Radiodiffusion française [1] propose ce qui se faisait de mieux à l’époque en France et en Amérique.

Deux CD donc, un pour le jazz classique, un pour le jazz moderne, soit plus de deux heures de musique, pour ce nouveau volet de la série INA, Mémoire vive, aujourd’hui riche de quelques quatre-vingts titres d’œuvres musicales et d’entretiens exhumés de ses archives - sans oublier tous les documents accessibles au public sur l’Internet) depuis 2006.
L’événement, c’est que l’INA commence à diffuser ses archives jazz télé et radio, et que Pascal Rozat [2], y a opéré un choix. En attendant de voir ces merveilles, on pourra retrouver sur ce double CD au son parfait l’ambiance exceptionnelle de cette série de concerts.
Les notes sont du très docte Alain Tercinet, toujours aussi précieux lorsqu’il s’agit de souligner les points forts de cette semaine singulière. Les photos de Jean-Marie Périer [3] sont de vrais petits bijoux montrant Dizzy Gillespie les pieds et la trompette dans l’eau, Ella Fitzgerald exhibant son dessin signé Jean Cocteau, Roy Eldridge voguant en touriste vers l’île de Sainte-Marguerite…

Le programme est éblouissant : rien que sur le premier disque, on peut entendre l’étourdissant Sydney Bechet, avec son son puissant et inimitable dans les aigus. Une seule femme, mais quelle vocaliste ! Ella Fitzgerald scattant comme personne sur « St Louis’ Blues » et imitant « Pops » sur « I Can’t Give You Anything But Love ». Quant à sa version de « My Heart Belongs To Daddy »… elle est indétrônable !
On bénéficie également de des moments d’anthologie, tel ce « trumpet contest » sur « Just You, Just Me » entre Roy Eldridge, Dizzy Gillespie, Teddy Buckner et Bill Coleman. On (re)découvre aussi les musiciens français d’alors :Claude Luter et sa clarinette aux côtés d’un étincelant Guy Longnon à la trompette, sur un « Frotti frotta » bien nommé.

Sur le second CD, le feu d’artifice continue avec le quartet du vibraphoniste Michel Hausser et Henri Renaud au piano, la finesse des gentlemen du MJQ sur le superbe « Sait-on jamais ? » de John Lewis, et les échanges étonnants de deux surdoués du jazz : Sacha Distel et Barney Wilen.
Beaucoup d’autres moments de grâce à l’écoute de Zoot Sims, Stan Getz, ou encore Dizzy Gillespie. A l’heure où on célèbre encore Miles Davis, n’oublions jamais Dizzy : son « Sweet Lorraine » laisse toujours pantois. Il est entouré ici de Kenny Clarke, de Pierre Michelot et du vaillant Martial Solal qui, en ce 10 juillet, accompagna aussi Getz et Gillespie, puis délivra un bondissant solo sur « The Squirrel » du grand Tadd Dameron.

Une affiche uniquement composée de stars, de monstres sacrés, de révélations et autres espoirs, qui résulte de la sélection de Charles Delaunay, pour un panorama très complet du jazz d’alors. Sans verser dans la nostalgie, on peut envier les heureux festivaliers…

par Sophie Chambon // Publié le 9 janvier 2010

[1Au Palais des Festivals, entre le 8 et le 13 juillet 1958.

[2Conseiller du président de l’INA, Emmanuel Hoog.

[3Oui, celui de Salut les copains !