Chronique

[LIVRE] Marc Villard

« Made in Taiwan » et plus…

Marc Villard (texte)

A la différence de Cœur sombre, roman policier dont l’intrigue se situait dans le milieu du jazz, Made in Taiwan est d’abord un recueil de nouvelles noires ou, au mieux, grises. Mais, comme souvent chez Marc Villard, la musique est quasi-omniprésente, de Neneh Cherry à Bob Marley, en passant par Bruce Springsteen ou Mink DeVille.

En fait, sur les quatorze nouvelles, deux seulement ont rapport au jazz. Dans « les yeux noirs », le Blue Velvet, club de jazz d’Ostende, est l’unique rocher auquel peut s’agripper le héros - si tant est qu’il en soit un… « Straight Life » sert ironiquement de fonds à cette nouvelle qui baigne dans la grisaille, les Spéculos, Citizen Kane, l’amour paternel et la haine fraternelle. Tout ça pour une vengeance qui patauge, mais pourquoi tout ce gâchis ? « Don’t Explain », comme conclut la prostituée…

Dans la deuxième histoire liée au jazz, « Lady C. », Villard imagine un dénouement inattendu pour la vie de Chet Baker, l’un de ses musiciens favoris. Une nouvelle qui serait presque espiègle, sans la drogue, la mort et la désillusion du musicien : « bof, je joue West Coast, tu vois, ça mange pas de pain ».

Les autres récits, même s’ils sortent du contexte, méritent d’être lus car, en fin de compte, ce sont quand même des petites plages d’improvisation sur des thèmes bien contemporains :

  • « Mister Black ». Un maniaque s’éprend d’une danseuse de striptease. C’est cru et ça finit mal.
  • « Rue Myrha ». Il a dix-sept ans, son espace spatio-temporel c’est l’univers de la dope, et il fait une bêtise. Pauvre Boubacar : « tu vivras mais tu vas en chier »…
  • « Banque à part ». Un braquage, l’esbroufe et la mort. Amen.
  • « Coup de gomme ». Quand une mère se lance dans la politique de sang-froid, pour sauver son rejeton : ça chauffe !
  • « Blanche neige ». Bob Marley, des seringues et un sous-sol ; on flotte, mais pas pour l’éternité : le temps, c’est de l’argent.
  • « Double contact ». « Cette citée pourrie, elle vous bouffera tous les uns après le autres ». Peut-être, mais c’est sans compter le foot.
  • « Bienvenue au paradis ». Si vous êtes tutsi, naïf et paumé en France, c’est comme si vous étiez un pigeon dans une volière ouverte : le renard vous dévore…
  • « Les grands créateurs ». Des cadres de la télé se réunissent dans une villa au bord de la mer pour imaginer la prochaine série qui doit faire exploser l’audimat… Une nouvelle désopilante.
  • « Rachid ». Jacques Tramson est de retour, pour sauver Rachid, témoin malencontreux d’un acte criminel. Le jazz pointe du nez : Abdullah, le fameux juge de Barbès, écoute Ornette Coleman.
  • « Cadillac Walk ». Quand la victime replonge un tueur dans son enfance, il pense à sa maman… et les carottes sont cuites.
  • « Un job en or ». Fred et Marco. Deux frères, comme il y en a beaucoup, partent à l’assaut d’esclavagistes, pas comme les autres.
  • « Racket ». Difficile de s’en tirer dans une cité, quand on n’a pas de joker dans sa main…

On retrouve évidemment le style direct, vif et concis de Villard, ainsi que ses descriptions précises et réalistes.

Ce recueil se lit d’une traite, avec des moments légers et d’autres d’une grande intensité, mais jamais d’ennui… Comme la vie quoi !

Made in Taiwan - Marc Villard - Rivages - 1999 - 192 pages - Prix indicatif : 7 €.

Bernard Strainchamps a proposé à CitizenJazz les chroniques de l’œuvre de Marc Villard qu’il avait écrites pour Mauvais genres. Ce site consacré aux littératures policières et de science-fiction, a été créé en 1999 et animé jusqu’en 2005 par Strainchamps. Bibliothécaire de profession, il a également réalisé le site de Villard et, avec Anne Pambrun, une vidéo sur l’écrivain. Étant donnée l’importance de Villard dans la littérature policière française et les liens étroits qu’il entretient avec le jazz et la musique en générale, il nous a semblé intéressant de publier ces textes.

Souffrir à Saint-Germain-des-Prés

Marc Villard est très célèbre à Venise. Il n’y a pas une librairie de la sérénissime qui ne possède l’intégrale de son œuvre illustre. Marc Villard a eu une enfance heureuse à Versailles dont il se souvient avec ravissement ; il vit aujourd’hui très heureux avec sa femme Christine à Montorgueil, quartier parisien. Marc Villard n’a qu’une seule angoisse dans la vie : avoir comme principal chroniqueur sur Mauvais genres, le modérateur en personne : certes doué en informatique, mais une plume déplorable voire massacrante !

Grâce à Souffrir à Saint-Germain-des-Prés, on apprend que Marc Villard adore discuter avec ses lecteurs, qu’il adore aussi se déplacer dans les festivals situés dans nos belles régions françaises et surtout qu’il voue une reconnaissance éternelle à la bibliothécaire de Laval. Marc Villard est sans conteste le plus génial des auteurs et comme chacun sait : toutes les femmes sont folles de son corps.

Ce recueil de nouvelles est le cinquième opus publié aux éditions Atalante. Je vous conseille de l’acheter. Et gare aux bibliothèques qui ne possèdent pas l’intégrale de ces recueils : Marc Villard a un réseau d’enquêteurs qui lui pondent rapport sur rapport.

Trêve de plaisanterie. En fermant ce recueil, j’ai un seul regret comme à chaque fois : il se lit bien trop vite !

  • Souffrir à Saint-Germain-des-Prés - Marc Villard - Atalante - 2005 - 160 pages - Prix indicatif : 9,22 €

Les portes de la nuit

Les portes de la nuit est un ouvrage édité avec le soutien de la Communauté d’agglomération de Saint Quentin-en-Yvelines dans le cadre du dixième festival « Polar dans la ville ». La contrainte étant pour l’écrivain Marc Villard et le photographe Cyrille Derouineau de conter cette étrange cité en quatre nouvelles accompagnées de photographies noir et blanc.

Marc Villard est comme le peintre contemporain Pierre Soulages : il creuse le noir à la recherche de la lumière !

En quelques mots, il dépeint dans un cadre à chaque fois différent des ambiances ambiguës où se meuvent des personnages en proie aux doutes.
- « Du côté des étangs » raconte la descente en enfer d’un auteur animant des ateliers d’écriture, bien trop proche de son public.

  • « Faudrait savoir », c’est l’histoire d’une vengeance qui se trompe de cible. Quelle est la victime qui n’a pas accusé à tort ?
  • « Tropical » (ma préférée) décrit une soirée de fête dans un asile de vieux.
  • « Tête cool » met en scène une famille de pauvres types.

Son propos est magnifiquement accompagné par Cyrille Derouineau qui a pris des photographies de Saint Quentin enneigé et de nuit. Les traces des roues de voitures, les éclairages, les rares passants, la photo d’un bébé dans un abribus (une pub) rendent fantomatique cette agglomération.

A noter que ce recueil édité sur du beau papier est préfacé par Didier Daeninckx.

Ce document a sa place dans tous les fonds locaux de la banlieue parisienne, ou si vous préférez dans le fonds nouvelles ou polar de votre bibliothèque.

  • Les portes de la nuit - Marc Villard & photographies de Cyrille Derouineau - Eden - 2005 - 64 pages - Prix indicatif : 21,85 €

Personne n’en sortira vivant

Ce recueil rassemble onze nouvelles publiées précédemment dans des revues ou des collectifs. Le titre Personne n’en sortira vivant n’est pas une combine pour attraper le chaland. Ça flingue, ça tue vraiment et ça se drogue très dur : coke, crake, speedballs… « Vive la mort ! » est le cri de ceux qui n’ont plus rien à attendre de cette terre inhumaine.

Dans la lumière d’un flash d’un fixe mortel, Marc Villard met en scène les derniers instants de gens condamnés par notre société : immigrés, femmes, enfants, malades… On croise aussi des acteurs connus tels De Niro que deux flics cherchent à choper en flag’ et Mastroianni qu’un mafioso veut butter. Marc Villard aime partager ses références !

La musique est présente à chaque page : elle réunit, mais conduit aussi à la mort un musicien. Le phrasé est court, très maîtrisé, la mélodie donne froid dans le dos. Marc Villard est un soliste rare de la nouvelle noire.

  • Personne n’en sortira vivant - Marc Villard - Rivages - 2003 - 176 pages - Prix indicatif : 6,50 €

Gangsta rap

Lire, c’est prendre un escalator vers l’inattendu. Faites gaffe ! Avec Marc Villard, il y a accoutumance : on accroche puis on devient drogué.

Dans Gangsta rap, on retrouve les leitmotive sonores et l’univers visuel de l’auteur.

D’une barre d’HLM au Mexique en passant par Beaubourg, les ressorts de l’humanité sont les mêmes : chantage, vengeance, amour…

Déchéance et déglingue à tous les étages, cadavres dans les placards, dérèglement des sens, le noir est le genre humain. Et la nouvelle, un concentré.

Gangsta rap est un excellent recueil qui doit figurer dans tous les bibliothèques de France et de Navarre.

  • « Gangsta rap ». Stevie crèche dans une cave d’une barre HLM. Graffiteur, fan de Van Gogh jusqu’à lire en boucle la correspondance de Vincent et Théo, il se trouve mêler à un règlement de compte entre rappeurs cleans et rappeurs pourris.
  • « C’est moi, Gino ». Gino est un tueur pro à Palerme. Le vol et le livre non officiel des comptes de son boss Massimo Grassi vont le conduire dans les bras de Gina. Marc Villard met en scène la fin tragique de Pasolini et dédouane Pelosi.
  • « Terre d’asile ». Rue Myrha, Barbèsville, Dany, « peau noire zébrée de larmes » subira le chantage successif de son ex, d’un dealer et d’un flic. Un concentré de lâchetés bien de chez nous.
  • « Droit devant ». Dominique, douze ans, se prostitue pour payer dopes et alcools à ses parents jusqu’au jour où avec son frère, Lulu, il décide que tout a une fin. Avec un Glock, arme fétiche de Marc Villard ?
  • « Sur la route avec Ruby Tuesday ». Conduire une Chevrolet Vega et être écolo, est-ce compatible ? Montero aura la réponse à sa question après quelques péripéties sur les routes de France et autres cadavres. Et Ruby…
  • « Cadavres abstraits ». Autour et dans Beaubourg, Loretta suce pour cent francs, livre du crack pour un dealer qui la tape et la viole, et qui peint des fausses toiles pour un galeriste véreux.
  • « Rosario ». Rosario, jeune boxeur, est revenu au Mexique pour venger sa mère assassinée. Un pari risqué dans une ville gangrenée par tous les trafics.
  • « Marador ». Paul est un tueur redoutable jusqu’au jour où il doit exécuter un contrat sur une ancienne et première petite amie. Excès de sensiblerie ?
  • Gangsta rap - Marc Villard - Gallimard / Série Noire - 2001 - 318 pages - Prix indicatif : 6,23 €.

La porte de derrière

Tramson est sorti de prison (dans Rebelles de la nuit, il est condamné pour avoir rendu justice lui-même ) et a retrouvé son job d’éducateur à Barbès. Il tente d’aider cette fois la belle Farida, en fait, l’accompagne dans sa descente en enfer.

Farida aime Nasser et elle est prête à tout pour le récupérer. Pour payer un marabout trop gourmand, elle deale donc du crack. Au bord de la détestation d’elle-même, c’est bien Nasser qu’elle retrouve un soir sur son chemin, mais comme client non désiré. Refusant de lui en vendre, allant jusqu’à détruire les tubes en les écrasant avec ses talons, Farida est entraînée dans un combat avec son ami, qui voit ce dernier rester sur le carreau. C’est le début d’une tragédie, d’un tourbillon mortel pour presque tous les protagonistes de cette histoire qui mêle trafic de drogues et amours divers.

Avant l’inéluctable, il y a la vie. Et le coeur de Barbès peuplé de personnages hauts en couleur tels Stevie, le graffiteur, fan de Van Gogh de Gangsta rap, Abdullah, le religieux qui rend la justice, Pradal l’incorruptible flic qui officie dans un atelier de poterie, la mama italienne sur son fauteuil roulant…

Marc Villard compose sur des airs connus une musique entêtante et vibrante.

  • La porte de derrière - Marc Villard - Gallimard / Folio Policier - 1999 - 166 pages - Prix indicatif : 3,33 €.

© Bernard Strainchamps