Chronique

Wajdi Cherif

Jasmine

Wajdi Cherif (p), David Sauzay (sax, fl), Hamdi Makhlouf (oud), Yoni Zelnik (b) et Mourad Benhammou (dm).

Label / Distribution : Wech Records

Dans Phrygian Istikhbar, Wajdi Cherif s’attachait essentiellement à la mélodie. Dans ce nouvel opus, Jasmine, le pianiste tunisien affermit sa musique : il change de format, étoffe ses compositions et modifie l’architecture de ses morceaux.

Pour le format, le pianiste est passé d’un trio plus percussionniste à un quintet, avec oud, flûte ou saxophone. Ces instruments permettent à Cherif d’augmenter la profondeur de champs de sa musique. A la flûte, David Sauzay renforce l’ambiance orientale, tandis qu’au soprano et au ténor, il marie avec réussite musiques afro-américaine et « afro-orientale ». L’oud d’Hamdi Makhlouf apporte sa touche de noblesse et entraîne les morceaux vers la « musique classique arabe ».

Côté compositions, Cherif signe les huit thèmes de Jasmine, et on peut saluer son inspiration, car son écriture est toujours aussi soignée. Si la plupart des morceaux évoquent une atmosphère orientale (« Pochade », « Jasmine »), parfois ils sont plutôt d’inspiration « latines » (comme « Geranium Blues » qui rappelle un boléro), dans une veine plus « standard de jazz », voire bluesy. A l’instar de Phrygian Istikhbar, les thèmes de Jasmine gardent toujours un caractère mélodieux et entraînant.

Dans Phrygian Istikhbar, Cherif exposait les thèmes, les développait plutôt linéairement et concluait assez rapidement. La structure des morceaux de Jasmine n’est pas aussi systématique, et la présence de solistes n’y est pas pour rien. Tantôt les thèmes sont annoncés à l’unisson, tantôt par la flûte ou par le piano… Cherif et ses compagnons gèrent habilement la tension en changeant de rythmes, comme les brefs chorus du piano qui annoncent l’oud dans le morceau éponyme et dans « Saliha’s Tribute », les échanges rythmiques croisés et tendus de « Marseille »… La tension naît également de ces équilibres entre sonorités orientales et jazz, encore plus accentué dans Jasmine que dans Phrygian Istikhbar, à l’image du jeu du ténor dans « Say Something » ou celui du piano dans « Falaises » et « Phrygian Tounsi ».

Il serait ingrat de conclure sans applaudir Yoni Zelnik et Mourad Benhammou. Les deux musiciens servent la musique de Cherif avec une remarquable acuité. Zelnik est à la fois souple, dansant et mélodieux à l’instar de son solo dans « Geranium Blues ». Quant à Benhammou, on a l’impression qu’il a joué cette musique toute sa vie ! Scrupuleusement attentif, le batteur reste constamment sur la brèche : des petits bruissements de cymbales de « Jasmine » au drive de « Say Something », en passant par la tension retenue de « Marseille » ou le dialogue avec le piano dans « Phrygian Tounsi »…

Jasmine porte bien son nom : tel un bel arbuste méditerranéen, il s’épanouit vers le soleil et offre des rythmes colorés et des notes parfumées aux oreilles avides de musiques chatoyantes et balancées.