Scènes

La condition du musicien de jazz aux USA

une étude aux résultats attendus


Est-il facile d’être un héraut du jazz dans la nation qui l’a vu naître ? Qui sont les gardiens de ce « trésor national » américain ? Comment vivent-ils ? Combien gagnent-ils ? C’est à ce genre de questions que le Research Center for Arts and Culture, en coopération avec le National Endowment for the Arts et le San Francisco Study Center, ont tenté de répondre en publiant une étude intitulée « Changement de tempo : une étude de la vie professionnelle des musiciens de jazz » et dirigée par Joan Jeffri.

Vous pouvez la télécharger au format Acrobat (clic droit sur PC).

Une étude ambitieuse

Comme le reconnaissent les auteurs de l’étude, en dépit de certaines activités comme le concours d’orchestres de lycées organisé par Jazz at Lincoln Center, des festivals comme celui de Monterey ou le documentaire « Jazz » de Ken Burns, le jazz ne réussit pas aussi bien que les autres formes de musique. C’est pourquoi le National Endowment for the Arts a décidé en 2000 de réaliser une étude sur les musiciens de jazz dans quatre métropoles étasuniennes : Détroit, La Nouvelle Orléans, New York et San Francisco. Le but poursuivi était double : comprendre l’environnement du jazz dans ces grandes villes et évaluer de façon détaillée les besoins des musiciens de jazz. Il s’agissait au terme de l’étude de pouvoir répondre à la question : « Comment apporter le meilleur soutien à la croissance et au développement continus du jazz et des musiciens qui le créent ? »

C’est le Dr Billy Taylor, musicien de jazz et enseignant, qui fut nommé à la tête d’une instance de conseil pour mener à bien cette étude. Un panel d’artistes, d’enseignants et de managers, aidés par de nombreux musiciens aidèrent à l’élaboration de l’étude. Au total, ce sont 2 700 musiciens qui seront interviewés pour le besoin de l’étude. La première difficulté fut de déterminer les frontières éventuelles du jazz. Qui joue du jazz, qui n’en joue pas ? Il fut sagement décidé de s’en remettre aux déclarations des musiciens eux-mêmes.

La vie du jazzman est par essence instable, donc difficile. A l’inverse de la musique classique, on reste rarement dans la même formation longtemps et on joue souvent dans plusieurs groupes en même temps. Le musicien de jazz est le plus souvent à la recherche du prochain concert en tant qu’individu. Aux USA, le jazz ne se vend pas très bien, qu’il s’agisse des concerts ou des disques. Si les ventes de ces derniers représentent 4% des ventes globales, les rééditions comptent pour beaucoup et on y trouve aussi des artistes de variétés. A San Francisco, ville où l’on trouve de nombreux musiciens de jazz, les deux tiers gagnent moins de 7000 euros par an en jouant du jazz. Ce chiffre est faible si on le compare au niveau d’études généralement atteint : la majorité possède au moins un diplôme du niveau maîtrise. Plus de la moitié des musiciens interrogés au cours de cette étude n’ont aucun plan retraite, ni couverture santé.

Le soutien institutionnel au jazz aux Etats Unis, quoique faible, existe : quelques agences fédérales ou régionales et des associations accordent des aides aux musiciens, mais pour 90% des musiciens interrogés, elles ne dépassaient pas 5000 euros.

Quelques chiffres

L’étude a tenté d’estimer le nombre de musiciens de jazz (qui ne jouent que du jazz ou qui en vivent en partie) dans les différentes villes. On en décompterait ainsi plus de 1700 à La Nouvelle Orléans, 33 000 à New York et près de 19 000 à San Francisco, où ils représentent respectivement 1,3 pour mille, 1,8 pour mille et 2,8 pour mille de la population de ces métropoles.

Le pourcentage de femmes varie en moyenne entre 15 et 20% selon la technique de dénombrement utilisée. L’estimation des pourcentages de musiciens selon la race donne des résultats très discordants, sauf à La Nouvelle Orléans où les musiciens noirs sont significativement plus nombreux que ne le laisserait supposer leur taux dans la population de la métropole louisianaise.

Plus de 40% des musiciens interrogés ont déclaré jouer dans plus de quatre groupes différents. Les styles pratiqués sont, dans l’ordre de fréquence décroissante, pour les plus fréquemment cités : le swing, le jazz traditionnel, le blues, le bop. Il y a des différences régionales : le style traditionnel est plus fréquemment cité à La Nouvelle Orléans qu’ailleurs, de même que l’avant-garde l’est à New York et à San Francisco.

Parmi les instruments pratiqués en premier, on note en tête le piano, puis, dans un mouchoir de poche, la voix, la trompette et la batterie. Quand on leur demande quels sont leurs premiers buts dans leur vie musicale, les musiciens souhaitent avant tout élever leur niveau d’expression artistique, puis vivre de leur musique et décrocher des enregistrements, ainsi que fonder leur propre groupe. La majorité des musiciens estime que le talent est la première qualité pour faire carrière dans le jazz, avant les qualités techniques ou la connaissance du milieu professionnel.

Perspectives

Au cours des entretiens, les musiciens eux-mêmes ont développé des pistes pour améliorer l’état du jazz aux USA. A commencer par le développement d’assurances santé et de plans de retraite accessibles, de fonds d’urgence pour aider les musiciens malades et/ou âgés. La préservation du jazz passe aussi par le développement de l’enseignement, à commencer par les écoles et collèges, mais également en apprenant aux musiciens à gérer leur propre carrière. Des actions visant à développer le public du jazz ont été citées, ainsi que la création d’une société de distribution de disques indépendante sur le modèle de nos associations loi de 1901, la standardisation des tarifs des clubs, des réductions d’impôts pour les concerts exécutés dans des lieux publics (hôpitaux, prisons), le développement de sites web consacrés aux musiciens de jazz.

Un modèle riche d’enseignements

On le voit, il n’est pas facile de vivre du jazz, de vivre le jazz au quotidien au pays de l’oncle Sam. Il y a beaucoup à faire et les idées ne manquent pas. Cette étude devrait donner matière à réflexion à ceux qui, en France, tentent actuellement de reléguer le statut protecteur d’intermittent du spectacle aux oubliettes. En ces temps troublés, il ne semble pas inutile de rappeler qu’on a la culture que l’on mérite et que le degré d’avancement d’une civilisation se juge en partie à l’importance qu’elle lui accorde.