Chronique

Lebocal

Ego

Ernie Oddom (voc, ts, ss), Thierry Girault (p, org), Guillaume Perret (ts, ss, effets), Amaury Bach (as, fl), Diego Fano (as), Patrick Montessuit (bs), Guillaume Lavallard (tp, bugle), Loïc Burdin (tp, bugle), Vincent Camer (tb), Jérémie Creix (tb), Stéphane Monnet (btb), Claude Roux (cl, bcl), Christophe Chambet (samplers, mix), Eric Minen (g, el g, oud), Cyril Moulas (el b, g), Pierre-Yves Desvignes (dm, perc) & Patricia Lhéritier (voc), Benjamin Prieur (voc), Julien Larochelle (g).

Label / Distribution : Bee Jazz

Dialogue autour d’Ego

Sophie C. : Lebocal, ce jeune collectif de la région Rhône-Alpes, né en 1998 sous l’impulsion du pianiste Thierry Girault mériterait de figurer dans l’association Grands formats qui présentait le week-end dernier au Trabendo à Paris l’opération du même nom.

Ego est le titre de son nouvel album (sorti chez Bee Jazz, le label Jazz d’Abeille Musique). La plupart des big bands actuels sont comme lui composés de jeunes instrumentistes doués, issus de « grandes écoles » de musique, CNSM ou autres conservatoires…

Seize musiciens le composent, dans une configuration plutôt conventionnelle : deux saxes alto, un sax baryton, une clarinette-clarinette basse, deux saxes ténor-soprano, deux trompettes, deux trombones et un trombone basse, une guitare acoustique et électrique, deux guitares basses, piano, batterie. Une instrumentation classique - mais le résultat l’est moins : des combinaisons assez peu orthodoxes se créent, non pas tant au sein même des morceaux que par leur juxtaposition en un étonnant collage et décalage.

Bob H. : Il est vrai qu’Ego s’impose d’emblée comme un disque moderne : boucles électros, rythmique souvent épaisse et binaire, effets foisonnants, délires rock progressif (alternatif ? punk ? metal ?)… Lebocal est bien dans l’air du temps, jusque dans le choix des titres des morceaux, légèrement potaches (« In the Eyes of the Samouraï », « You Can Park the Car in the Swimming Pool »), voire provocateurs (« Rouge coït »).

Sophie : Ce bocal intrigue, car sans être un fourre-tout, il propose une étonnante mixture. On se laisse entraîner au hasard des compositions dans un univers tendre de ballades plutôt planantes, que le titre suivant dynamite par des échappées de voix rugissantes, soutenues par une rythmique qui « déchire » (« Chippendoom », « Le foutage »). Un zapping permanent caractérise cet album aux ambiances résolument changeantes, sans cohésion formelle ou du moins stylistique…

Bob : D’ailleurs, avec autant d’éléments disparates, le montage d’Ego n’a pas dû être facile : entre les plages fanfares assaisonnées d’électro (« Lego », « Head loop ») ou de hard rock qui « déchire », comme tu dis, et les chansons de « crooner » étrangement calmes, limite mièvres (« The Innocence of L.A. », « You Can Park the Car in the Swimming Ppool », « Senza parole »). Et l’album est bavard : il comporte dix-sept morceaux dont six intermèdes - les six « ego ». Mais on le savait : l’ego laisse peu de place aux silences et pousse aux confidences…

Sophie : Oui, avec l’objectif de surprendre, de brasser joyeusement le plus large répertoire. Et la participation d’invités issus de champs esthétiques très divers concourt à cette effervescence jubilatoire : un échange permanent et une expression collective, inscrite dans une réelle tradition, vivifiée par les apports du lyrique (Patricia Lhéritier), de l’électro (samplers et boucles du bassiste Christophe Chambet) et enfin du métal (incursions de Benjamin Prieur et Julien Larochelle).

Bob : Il faut reconnaître qu’en dehors des conclusions en fondu, de quelques mièvreries et des intermèdes dont le but n’est pas évident, le patchwork a une certaine allure. Peut-être qu’un zeste supplémentaire de spontanéité et de sons acoustiques n’auraient pas nui à l’ensemble, à l’instar de l’élégante ballade « Mlle Li » ou du groovy « It Was Before » ?

Sophie : Le groupe se fait un malin plaisir de brouiller les pistes… Il joue d’une écriture serrée et néanmoins aérée, mettant en valeur les cuivres, sur une rythmique souvent binaire ou joyeusement funky. L’exécution véloce prévoit des échappées vrombissantes que ménagent des orchestrations spectaculairement réussies.

Bob : Spectaculaire, le mot est bien choisi. C’est un autre signe de contemporanéité : Lebocal propose une musique « visuelle » qui oscille entre musique de film, de ballet ou de comédie-musicale. De quoi nourrir un projet pour ce collectif ambitieux.

Sophie : Finalement, ce foisonnement, cette vitalité de vrai collectif, cet art du collage délirant…, cela ne rappelle-t-il pas un célèbre moustachu, guitariste hors pair et incroyable homme-orchestre ? Tout devient clair quand on sait que le précédent album de Lebocal s’intitulait Oh No !… Just Another Frank Zappa Memorial Barbecue !