Portrait

Mario Batkovic, musicien sans frontières

Portrait d’un musicien éclectique qui avait fait sensation avec son album solo sorti en 2017 chez Invada Records.


Photo : Hollin Jones

Instrument trop souvent raillé, l’accordéon a longtemps pâti d’une mauvaise image. Vieillot, passéiste, réac sont des adjectifs qui lui collent trop souvent au soufflet. Aujourd’hui, il n’est pourtant plus cet instrument à la papa, tout juste bon à faire guincher les seniors dans les bals du dimanche. De nombreux instrumentistes à travers le monde (du Brésilien Hermeto Pascoal au Portugais Joao Barradas, en passant par Vincent Peirani bien sûr, l’Américaine Andrea Parkins ou le Norvégien Frode Haltli) l’ont rendu bien vivant, moderne et populaire.

Avec son look de rockeur, sa gouaille et son humour pince-sans-rire, le Suisse Mario Batkovic fait partie de ceux-là. Il est peut-être celui qui a emmené l’accordéon le plus loin, vers des contrées rarement entendues, lui insufflant souffle libertaire, fraîcheur et lyrisme. Avec lui, l’accordéon est devenu glamour.

Mario Batkovic ne se considère pourtant pas comme un accordéoniste. « Je suis d’abord un musicien, et ensuite je suis un musicien qui joue de l’accordéon. » Né en 1980 en Bosnie, il commence à jouer de la musique à l’âge de quatre ans dans son village natal. « Il n’y avait rien d’autre autour de moi qu’un accordéon, pas d’autres instruments. C’est réellement comme ça que j’ai commencé à jouer. S’il y avait eu une guitare, je jouerais de la guitare aujourd’hui… ».

Photo : Patrick Principe

A onze ans, il part vivre en Suisse. Quand on l’interroge sur ses racines bosniaques et sur son exil, on sent que le sujet est encore sensible : « Je n’aime pas trop parler de mon enfance, je préfère parler de ma musique ; mais bien sûr cet exil n’a pas été facile et cela a sans doute eu une grande influence sur ma musique. J’essaie de faire une musique qui n’a pas de frontières car nous avons assez de frontières dans nos têtes. [….] Je déteste toutes ces boîtes dans lesquelles on range les musiciens selon le style qu’ils jouent. Je ne veux avoir aucun style. Je veux juste être libre et indépendant dans ce que je fais et dans ce que je joue. »

Empruntant aussi bien aux musiques répétitives qu’au jazz, à la musique contemporaine ou à la musique classique, Mario Batkovic s’abreuve de nombreux idiomes. « Il n’y a pas vraiment une influence majeure dans ma musique ou sur mon instrument. C’est plus une addition de styles. J’ai étudié la musique classique, j’ai joué dans un groupe de rock, j’ai joué des musiques folkloriques, participé à des projets électro. Quand vous grandissez et que vous vivez quelque part vous rencontrez beaucoup de gens, vous êtes influencé par ces rencontres, elles façonnent votre musique et vous façonnent en tant qu’homme également. »

J’essaie de faire une musique qui n’a pas de frontières car nous avons assez de frontières dans nos têtes.

Une rencontre l’a fortement marqué, celle avec le réalisateur syrien Mano Khalil (“L’Hirondelle”). « On travaillait ensemble lors d’un workshop ; je ne savais pas vraiment ce qu’il faisait et il ne savait pas non plus ce que je faisais ; on est devenus amis et on a passé beaucoup de temps ensemble et il y a quelques années il est venu dans mon studio, j’ai commencé à jouer de mes instruments, ma musique lui a plu et il m’a demandé de participer à la musique de ses films. On a fait quatre films ensemble et c’est une très belle collaboration. Ses films sont un peu comme mes films. »

Photo : Rebecca Cleal

Car avant d’être un accordéoniste à la mode, Mario Batkovic est avant tout un compositeur. Il a écrit de nombreuses musiques de films et de documentaires. « Il y a de nombreuses façons de composer des musiques de films. Le plus souvent, j’ai quelque chose dans la tête qu’il faut ensuite traduire dans la réalité. J’aime jouer et composer des musiques de films car vous êtes très libre, vous ne jouez pas un seul style de musique, vous jouez la musique qui semble le mieux correspondre aux images que vous voyez. Vous servez le film en quelque sorte et vous faites des choses que vous ne pouvez pas faire sur scène par exemple ».

Je ne me prends pas au sérieux, c’est la musique que je prends très au sérieux.

Il a également participé à la bande-son du jeu vidéo mondialement célèbre Red Dead Redemption 2 (17 millions d’exemplaires vendus dans le monde). « Travailler sur ce jeu a été une expérience incroyable, très amusante. Cela m’a permis d’essayer de nouvelles choses, d’expérimenter une nouvelle musique. J’ai adoré travailler sur cette bande-son. Ça a vraiment été un moment important pour moi. »

Multi instrumentiste touche-à-tout (il joue aussi de la guitare, des claviers, des percussions), « géo trouvetou » (il fabrique ses propres instruments) à ses heures perdues, Mario Batkovic est un personnage franc et direct, à l’humour corrosif qui véhicule une image rebelle et iconoclaste « Les gens se font une image de moi, ils en ont besoin, mais je ne fabrique pas cette image, elle est ce qu’elle est. C’est la musique qui m’importe. Elle est quelque chose de plus grand que tout ce que je pourrais devenir. Je ne me prends pas au sérieux, c’est la musique que je prends très au sérieux. »

Photo : Patrick Principe

Et sa musique, c’est en concert qu’elle dévoile toute sa magie. Sur scène, Batkovic semble être habité, comme en mission. Il insuffle une énergie brute, presque vitale à sa musique, faisant de ses concerts des moments uniques. Pour l’accordéoniste, la scène est avant tout un moment de partage et de communion avec le public « C’est toujours dingue quand à la fin d’un concert, certaines personnes viennent me voir pour me remercier. Le public ne se rend pas compte à quel point c’est aux artistes de les remercier car vous ne pouvez pas jouer de la musique tout seul pour vous-même. Je suis toujours très heureux quand les gens ont pris le temps de venir écouter ma musique. J’espère que je leur ai rendu ce temps à mon tour en leur faisant justement perdre cette notion de temps, en les faisant voyager sur des chemins où ils n’ont jamais été auparavant. »

Son chemin, singulier et original, Mario Batkovic le trace à la pointe de son accordéon. Son jeu utilise toutes les possibilités de son instrument, des bruits mécaniques jusqu’aux sons des soufflets. Aucun moyen de post-production. Une musique de l’instant, acoustique et résolument jusqu’au-boutiste. Un acte politique en somme.

par Julien Aunos // Publié le 31 mai 2020
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